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La réconciliation syro-turque en souffrance

Jeudi, 14 septembre 2023

La réconciliation entre la Syrie et la Turquie est en lambeaux.

Malgré les efforts de la Russie pour rapprocher les deux ennemis, le président syrien, Bachar Al- Assad, a récemment écarté toute rencontre avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, affirmant que cela légitimerait l’occupation du nord de la Syrie par la Turquie. Celle-ci maintient de 5 000 à 10 000 soldats dans le nord de la Syrie et contrôle, via ses forces armées et ses alliés de l’opposition syrienne, quelque 5 470 km2 du territoire syrien.

Le président russe, Vladimir Poutine, tente depuis des années de réconcilier la Syrie et la Turquie. En mai, les ministres des Affaires étrangères de la Russie, de la Turquie, de la Syrie et de l’Iran se sont rencontrés à Moscou et ont convenu d’avancer sur une feuille de route pour le rapprochement, mais ce processus est au point mort. La normalisation syro-turque achoppe sur deux dossiers. Le premier porte sur la question kurde. Pour Erdogan, l’occupation du nord de la Syrie est au coeur de son objectif primordial de « l’élimination complète » des ailes armées du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) basées au nord de la Syrie et de l’Iraq. Ankara estime également que les Forces démocratiques syriennes (SDF), principalement kurdes et soutenues par les Etats-Unis, font cause commune avec le PKK. Les SDF cherchent à établir une zone autonome kurde au nord de la Syrie, ce que rejette Ankara redoutant que la concrétisation de ce projet fasse des émules en Turquie parmi l’importante minorité kurde estimée entre 15 % et 20 % de la population. L’essence du compromis que propose Moscou pour résoudre ce problème est la conclusion d’un accord entre le gouvernement syrien et les Kurdes des SDF, dont les dispositions seraient acceptables pour Ankara. Mais Moscou, après son invasion de l’Ukraine, peut difficilement se présenter comme un garant fiable d’un tel arrangement. Assad voit donc peu d’avantages, pour l’instant, à un accord avec Erdogan. Il serait plutôt satisfait de voir la Turquie poursuivre son enlisement dans le bourbier nord-syrien, sans issue sauf via Damas. Il ne craindrait pas non plus les attaques turques contre les zones contrôlées par les SDF.

En effet, une option militaire semble écartée par les deux parties. L’armée syrienne n’est pas en mesure de prendre de front la Turquie et ses alliés de l’opposition syrienne. Et la Turquie répugnerait à lancer toute opération militaire majeure dans des zones telles qu’Idlib « tenue par les rebelles » dans le nord-ouest de la Syrie, ce qui pourrait déclencher une nouvelle vague de réfugiés à un moment où elle peut économiquement et politiquement le moins se le permettre. La volonté d’Erdogan d’enterrer la hache de guerre avec Assad s’explique également par son échec à obtenir l’assentiment de la Russie et de l’Iran, alliés de Damas et présents sur le terrain, à une nouvelle opération militaire turque dans le nord de la Syrie. L’opération visait à garantir que les Kurdes syriens, que la Turquie considère comme des terroristes, ne créent pas de région autonome à la frontière turque comme celle établie par leurs homologues au nord de l’Iraq. La Turquie espérait que l’opération lui permettrait de créer une zone tampon de 30 kilomètres contrôlée par ses forces et ses alliés de l’opposition syrienne. Le refus de Moscou et de Téhéran de soutenir le projet, qui aurait sapé l’autorité de leur allié Assad, a contraint la Turquie à limiter son opération au bombardement des positions militaires kurdes.

Le deuxième point d’achoppement porte sur les réfugiés syriens en Turquie. Parmi les priorités d’Erdogan figure le retour de 3,6 millions de réfugiés syriens, compte tenu de leur pression sur l’économie turque. Le ressentiment de la population turque envers les réfugiés syriens, notamment à l’approche des élections municipales en mars 2024, joue un rôle dans la réflexion d’Erdogan. Alors qu’Assad prétend demander le retour des 5,8 millions de réfugiés syriens vivant dans les pays voisins, sa préférence serait plutôt d’accueillir un nombre bien moins important sur une longue durée. Son raisonnement s’explique par l’état de l’économie syrienne dévastée par les sanctions américaines et internationales, le bilan de la guerre civile et les conséquences du tremblement de terre survenu en février et de la guerre russo-ukrainienne. La croissance du PIB devrait diminuer cette année de 3,5 % après une contraction similaire l’an dernier. Assad pourrait également se méfier de nombreux réfugiés de retour, en particulier de ceux qui avaient participé au soulèvement populaire, de l’opposition ou des membres de leurs familles.

Assad estime donc que le temps joue en sa faveur. Il a exigé le retrait de l’armée turque de son pays avant de faire avancer les négociations. Ankara, pour sa part, refuse de se retirer du nord de la Syrie, invoquant sa lutte contre les groupes kurdes syriens. Assad considère qu’il peut, sans payer de prix, attendre que la Turquie — pressée de trouver une solution à la question kurde et aux réfugiés — change de position.

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