La décision surprise a été annoncée quelques heures après que Bashagha a publié sa décision — sans explication — de remettre ses fonctions à son adjoint, Ali Al-Qatrani. Le parlement a indiqué que Bashagha ferait désormais l’objet d’une enquête, mais n’a pas précisé les charges qui pourraient être retenues contre lui. En fait, la révocation de Bashagha est intervenue à la suite du litige qui l’opposait au parlement, dans lequel ce dernier l’avait accusé de corruption à la suite du versement de sommes d’argent aux municipalités de l’ouest de la Libye. Ces municipalités n’appartiennent pas à son gouvernement, mais à celui d’unité nationale. En mars, la Chambre des représentants a tenu une séance d’audit sur Bashagha et a interrogé ses ministres sur un certain nombre de dossiers financiers.
L’argent versé aux municipalités de l’ouest serait destiné à gagner leur soutien dans le bras de fer engagé avec Dbeibeh. Car, malgré l’appui apporté par le parlement basé à Tobrouk (est) et l’Armée Nationale Libyenne (ANL) dirigée par Khalifa Haftar, Bashagha manquait de pouvoirs réels. La marge de manoeuvre de son gouvernement était particulièrement limitée par les contraintes budgétaires. Bashagha a déclaré en janvier que la Banque Centrale de Libye n’avait alloué à son cabinet qu’environ 330 millions de dollars, ce qui a déclenché une querelle entre lui et les députés sur la question financière.
La destitution de Bashagha va bien au-delà du simple litige financier et touche au déclin de son poids politique à la suite de son alliance avec le parlement de Tobrouk. Bashagha était un pilier de l’ancien gouvernement d’accord national, basé à Tripoli, de Fayez Al-Sarraj, où il occupait le poste de ministre de l’Intérieur et considéré comme proche des factions islamistes dominantes à l’ouest. Mais son alliance avec les autorités de l’est et Haftar, farouche ennemi des islamistes, a entraîné une grave atrophie de sa base de soutien dans la région occidentale. Plusieurs factions, notamment islamistes, considéraient sa réconciliation avec Haftar et le président du parlement, Aguila Saleh, comme une « trahison des martyrs », en référence aux militants tués dans les batailles menées par l’ANL contre les milices à Tripoli et à Benghazi, deuxième ville du pays, située à l’est.
Certains observateurs pensaient même que Haftar et Saleh utilisaient Bashagha comme une carte de pression contre Dbeibeh pour récolter certains avantages, tels que la destitution de Moustapha Sanallah de son poste de chef de la Compagnie pétrolière nationale et son remplacement en juillet dernier par l’ancien gouverneur de la Banque Centrale, Farhat Bengdara, dans le cadre d’un accord entre Haftar et Dbeibeh qui comprenait le paiement des dettes de l’armée. Selon ce raisonnement, la mission de Bashagha était terminée du point de vue de Haftar et Saleh. Ce qui donne du poids à cette explication sont les récentes informations faisant état d’un rapprochement entre Dbeibeh et Haftar qui devrait se solder par une prochaine réunion entre des représentants des deux hommes. Selon ces informations, la réunion projetée inclurait des responsables de la sécurité et de l’armée de la région occidentale et d’autres de la partie orientale du pays, y compris les deux fils du chef de l’ANL, Saddam et Belkasim, ainsi que le député Hatem Al-Araibi et Oussama Hamad, qui assume désormais les fonctions de Bashagha. Le but de la réunion est de discuter de la possibilité de parvenir à un accord avec le gouvernement d’unité nationale qui inclurait la nomination de nouveaux ministres dans des portefeuilles tels que les Finances, les Affaires étrangères, l’Intérieur et la Défense.
La question principale qui se pose à l’heure actuelle est de savoir si ces derniers développements et changement d’alliance aideront la Libye à sortir de l’impasse politique et permettront la tenue d’élections générales tant attendues ou, au contraire, si la logique des intérêts factionnels étroits prendra le dessus. Le gouvernement de Dbeibeh a été installé en février 2021 grâce à un processus soutenu par l’Onu qui visait à organiser des élections en décembre de la même année, mais le vote a été annulé en raison de différends sur les règles qui devaient régir le scrutin, notamment les conditions d’éligibilité des candidats à la présidentielle. L’Onu cherche désormais à amener le parlement et le Conseil d’Etat, un organe consultatif, à s’entendre sur des règles permettant la tenue des élections avant fin 2023. Cependant, des députés au parlement ont fait pression pour la formation d’un nouveau gouvernement intérimaire avant toute élection, une position que leurs opposants considèrent comme une tactique dilatoire visant à reporter le vote, afin de garder leurs fonctions.
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