Cet événement a, à la fois, défini leur avenir d’apatrides et de peuple occupé et constitue la base de leur identité nationale distincte. L’héritage de la Nakba est indispensable pour comprendre la vie actuelle des Palestiniens. Il a freiné l’émergence d’un Etat palestinien et a créé le problème des réfugiés. En brisant et en désintégrant la société, la Nakba a façonné la manière dont la vie socioéconomique, politique et culturelle palestinienne s’est développée au cours de plus de sept décennies. Les controverses et développements actuels au sein du corps politique palestinien ne peuvent être compris sans faire référence à ces développements historiques. Cela est particulièrement vrai des débats émotionnels sur le droit au retour des réfugiés, la sécurisation d’un Etat géographiquement contigu et la rivalité entre l’Autorité d’autonomie dirigée par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dominée par le mouvement Fatah, qui contrôle la Cisjordanie, et le Mouvement de la résistance islamique (Hamas) qui gouverne la bande de Gaza.
Alors que les Palestiniens ont leurs propres traits culturels, c’est surtout la Nakba et ses conséquences qui les séparent fermement des autres peuples arabes. Tous les Palestiniens, y compris ceux restés en Israël, ont partagé cette expérience. Et étant donné que la plupart des Palestiniens d’aujourd’hui sont soit des exilés, des réfugiés ou vivent sous occupation israélienne — ou comme des citoyens de seconde zone d’Israël —, leur identité sociale et politique collective est presque entièrement centrée sur l’expérience bouleversante de la Nakba.
Celle-ci a laissé un impact politique permanent sur les Palestiniens. Compte tenu de l’éclatement de la vie économique et des structures sociales, aucun développement socioéconomique n’a émergé à court terme pour permettre l’apparition d’une réponse politique globale à la tragédie. Ainsi, l’effet politique immédiat le plus tangible a été qu’aucun Etat palestinien n’a émergé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza pour faire face à Israël. Pendant les deux premières décennies après 1948, aucun mouvement politique unifié n’a vu le jour. Les activistes palestiniens avaient tendance à se tourner vers des mouvements dans leurs pays d’exil qui avaient une vision idéologique plus large, plutôt que vers ceux qui se concentraient uniquement sur les questions palestiniennes. En Israël, où les Palestiniens étaient soumis au régime militaire jusqu’en décembre 1966 et où les partis politiques ouvertement arabes, comme le mouvement nationaliste panarabe Al-Ard, étaient interdits, ils se sont tournés vers la gauche binationale judéo-arabe, le Parti communiste. En Cisjordanie, en Jordanie, en Syrie et au Liban, les militants ont été attirés par des groupes de gauche comme le Parti communiste jordanien, par les partis nationalistes panarabes comme le parti Baas, par l’idéologie pan-syrienne du Parti nationaliste social syrien, ou par le mouvement panarabe inspiré par le président égyptien Gamal Abdel-Nasser.
Emergence d’un mouvement unifié de résistance
Les premiers remous d’un mouvement nationaliste palestinien unifié transfrontalier sont survenus à la fin des années 1950, parmi les réfugiés dans les pays du Golfe et dans d’autres centres de la vie palestinienne en exil. Le mouvement qui a vu le jour en 1959 au Koweït s’appelait Fatah. Ses objectifs étaient relativement simples : la lutte armée pour le retour des réfugiés dans leurs foyers et leurs terres en Israël ; l’autonomie en lieu et place de la confiance dans les partis et les régimes arabes pour mener la lutte ; et la neutralité dans la division intra-arabe entre les forces pro et anti-Nasser.
Le fait que les militants du Fatah — y compris leur chef Yasser Arafat — sont en grande partie issus de milieux traditionnels, petits bourgeois et musulmans signifiait que le mouvement dans l’ensemble ne souscrivait ni à la laïcité militante caractéristique des mouvements de gauche, ni à l’idéologie de la révolution sociale au sein de la société arabe que de nombreux gauchistes menaient parallèlement à la lutte nationaliste contre Israël. Ce fait a laissé sa marque au fil des décennies sur le Fatah en tant que mouvement globalement conservateur et traditionaliste.
La défaite arabe dévastatrice de la guerre de Juin 1967 et la faillite des slogans panarabes ont conduit à la croissance presque immédiate de la popularité du Fatah et d’autres mouvements de résistance palestiniens formés par des réfugiés après la guerre, dont le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) et le Front Démocratique de Libération de la Palestine (FDLP). Ces organisations de guérilla ont défié les dirigeants traditionalistes de l’OLP.
Bien qu’elle soit composée d’activistes de tous les niveaux de la société palestinienne et financée, entre autres, par de riches hommes d’affaires palestiniens, l’OLP a largement trouvé sa force parmi les populations réfugiées pauvres du monde arabe, ainsi qu’en Cisjordanie et à Gaza. Tout au long des années où l’OLP a défini les paramètres de l’activité politique palestinienne, et à mesure que son idéologie et ses stratégies ont changé, elle a toujours reflété l’expérience des exilés palestiniens dans le monde post-Nakba : insistance sur la création d’un Etat palestinien, droit au retour, lutte armée et formulation d’une identité et d’un mouvement uniquement palestiniens. Le déracinement et l’apatridie créés par la Nakba expliquent l’insistance inébranlable de l’OLP sur la création d’un Etat palestinien pleinement indépendant. Le désir d’un Etat où les Palestiniens peuvent se gouverner eux-mêmes et afficher leurs propres symboles de souveraineté a été un objectif que l’OLP a poursuivi avec un dévouement résolu au fil des décennies.
Action en faveur d’un règlement négocié
Le changement le plus important dans l’activité politique palestinienne est intervenu dans les années 1970 lorsque l’OLP, par réalisme, a réorienté son action nationale vers une solution diplomatique centrée uniquement sur la Cisjordanie et la bande de Gaza. Le fait qu’Israël n’a pas immédiatement modifié la configuration démographique solidement arabe de ces deux territoires après les avoir occupés en 1967, comme il l’avait fait avec les terres qu’il contrôlait depuis 1948, signifiait que ces 22 % de la terre historique de la Palestine étaient la seule partie du pays sur laquelle de plus en plus de militants de l’OLP estimaient qu’un futur Etat palestinien pouvait être créé. L’échec de la lutte armée pour libérer la terre de 1948 et les revers parfois violents infligés à l’OLP par les régimes arabes qui ont accueilli sa direction et ses militants armés ont déplacé l’activisme politique palestinien vers la Cisjordanie et Gaza.
Ce retournement stratégique n’a pas manqué de créer un sentiment de déception chez bon nombre de réfugiés face à l’OLP qui s’est éloignée de la libération totale de la Palestine et de la lutte armée. Ce ressentiment découle de leur attachement profond au droit de retour. Le fait qu’un règlement négocié ne conduirait pas à assurer ce droit explique en partie la montée en puissance du Hamas qui n’est pas disposé à abandonner une stratégie politique bien ancrée chez les réfugiés. Ceci explique que le Hamas a toujours été plus puissant que l’OLP dans la bande de Gaza, où les réfugiés sont plus nombreux que les autochtones, qu’en Cisjordanie.
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