Nous tenterons toutefois de détecter les aspects du nouvel ordre en voie de formation à travers l’analyse de la situation actuelle des organisations internationales et régionales.
Ces organisations reflètent la réalité qui existait à l’époque de leur fondation. Avec le temps, de nouvelles forces émergent tandis que d’anciennes forces reculent. Mais les organisations ne changent pas et restent gérées par les textes de leurs chartes, qui sont des constitutions sacrées. La situation reste comme telle jusqu’au moment où l’écart entre la nouvelle réalité internationale et les règles gérant les organisations internationales devient très grand. De plus en plus, des membres de ces organisations ressentent que celles-ci ont perdu le lien avec la réalité et qu’elles constituent un obstacle face à leurs intérêts et ambitions. Ils tentent alors de se libérer de leurs engagements envers leurs organisations et proposent des interprétations nouvelles à leurs règles écrites pour introduire une réforme dans leurs chartes.
Lorsqu’on parle de la nécessité de réaliser une réforme de telle ou telle organisation internationale, ceci prouve qu’elle connaît une crise d’écart avec la réalité. Pour savoir si une organisation internationale ou régionale est toujours valable ou bien ses membres craignent l’inconnu qui se traduit par un monde sans cadres organisationnels, il faut essayer de savoir ce qui va se passer si on propose aux membres de cette organisation de renégocier sa charte. Accepteront-ils les textes qu’ils ont précédemment acceptés lors de la fondation de l’organisation, ou bien de grandes modifications seront-elles effectuées, ou bien échoueront-ils à parvenir à un accord ?
Que se passerait-il si les pays du monde entamaient des négociations pour fonder à nouveau l’Onu ? Seraient-ils capables de parvenir à un accord ressemblant à celui existant ou bien un accord meilleur, ou bien échoueraient-ils à parvenir à un accord ?
L’Onu a été fondée à un moment où les Etats-Unis étaient en tête de l’ordre mondial, suivis de l’Union soviétique, et chacune de ces deux puissances était soutenue par un bloc. A cette époque, le principe des 5 membres permanents disposant du droit de veto au Conseil de sécurité était apprécié et les autres pays du monde étaient satisfaits d’adhérer à ce régime.
Aujourd’hui, 75 ans après la fondation de l’Onu, est-il toujours acceptable d’octroyer le droit de veto à des Etats déterminés, comme si ces Etats étaient au-dessus de la loi ? Quelles sont les superpuissances qui méritent cet avantage ? Est-ce que ce sont les mêmes 5 Etats qui disposent actuellement de ce droit ? Qu’en est-il du Japon et de l’Allemagne qui ont été éloignés du processus de fondation de l’Onu après leur défaite à la Seconde Guerre mondiale et qui occupent aujourd’hui les 3e et 4e places des économies les plus puissantes du monde ? Et qu’en est-il de l’Inde qui était occupée en 1945 et qui est devenue une force nucléaire et la 5e économie la plus puissante du monde ? Il y a aussi la Corée du Sud dont l’économie est devenue plus puissante que celle de la Russie. De même, des dizaines de colonies sont devenues aujourd’hui des Etats indépendants après la fondation de l’Onu. Est-ce que ces Etats accepteront de continuer à occuper les sièges des spectateurs dans l’ordre mondial ou bien réclameront-ils d’être représentés à travers des sièges permanents sur des bases géographiques et culturelles ? L’Onu n’a pas prouvé une grande efficacité dans le règlement des conflits et la prévention des agressions; pourquoi alors les Etats du monde accepteront-ils la poursuite du système des avantages qui n’a pas aidé à réaliser la paix au niveau international ? Pour ce qui est du commerce international, il est difficile de se mettre d’accord sur des règles de son organisation après que les règles de l’Organisation mondiale du commerce sont devenues inutiles, car non respectées par des membres importants de l’organisation.
L’Union européenne et l’Otan sont les plus importants facteurs qui permettront le prolongement de l’ordre mondial actuel. Les pays occidentaux, les Etats-Unis et l’Europe, en plus de l’Australie et du Japon et peut-être aussi la Corée du Sud sont capables de sauvegarder leur alliance économique et militaire actuelle. C’est de là que vient la force de la coalition occidentale dirigée par les Etats-Unis, qui est la coalition la plus harmonieuse et la plus cohérente au niveau international. Entre ces membres, il existe très peu de doutes et de craintes et l’entente autour des intérêts économiques et sécuritaires s’appuie sur une forte base idéologique. Malgré le recul relatif de l’Occident au niveau économique et militaire, il continue à représenter l’unique coalition réelle dans le monde d’aujourd’hui.
Il n’y a aucun doute que la Chine est une force qui monte vers le sommet de l’ordre mondial, mais elle est jusqu’à maintenant une puissance solitaire qui, certes, a des partenaires commerciaux dans les différentes régions du monde, mais ne dirige pas une coalition internationale du poids de la coalition occidentale. Sa coalition avec la Russie est encore en phase d’expérimentation et le groupe des BRICS et l’Organisation de Shanghai sont des déclarations d’intention et non pas des coalitions réelles. L’Inde est une force émergente à grande vitesse, mais les divergences entre New Delhi et Pékin dépassent la communauté d’intérêts de leur entente.
Il est donc à prévoir que la coalition occidentale maintienne sa cohérence. Mais si la Chine et l’Inde atteignent le sommet de l’ordre mondial, sera-t-il possible de réaliser une entente autour de règles de fonctionnement d’un ordre mondial dans lequel la puissance sera répartie entre une grande coalition occidentale et un nombre de superpuissances isolées et divergentes ?
Lien court: