Les négociations sur la démarcation de la frontière maritime entre le Liban et Israël seraient dans leur phase finale. Le compromis trouvé grâce à la médiation de l’envoyé spécial américain et coordinateur des affaires énergétiques internationales, Amos Hochstein, porterait sur la répartition entre les deux pays des richesses gazières et pétrolières de la zone contestée en Méditerranée orientale. Le Liban aurait accepté de céder le contrôle du champ gazier de Karish à Israël, alors que ce dernier aurait abandonné celui de Qana au pays du Cèdre.
Le progrès réalisé dernièrement dans les pourparlers, qui durent depuis environ deux ans et qui ont conduit à une montée des tensions entre l’armée israélienne et le parti chiite libanais du Hezbollah, tient à la médiation des Etats-Unis qui se sont activés à débloquer l’impasse en raison de la crise des approvisionnements énergétiques provoquée par la guerre russe en Ukraine. Washington voulait accélérer la résolution de ce différend qui porte sur une zone maritime de 860 kilomètres carrés riche en gaz naturel et en pétrole. Un accord entre Beyrouth et Tel-Aviv permettrait un début rapide des travaux d’exploration et de production dans le but d’atténuer la crise énergétique dont souffre l’Europe en raison de l’interruption des exportations du gaz russe. Il permettrait également de rendre plus efficaces les sanctions européennes contre Moscou.
Les pourparlers indirects, sous médiation américaine, ont repris en juin dernier, après qu’Israël avait déployé une plateforme d’extraction et de production sur le champ de Karish, situé dans la zone contestée. Cette mesure a provoqué une montée des tensions entre les deux pays après les menaces proférées par le Hezbollah, ennemi juré d’Israël, de répondre par les armes à toute violation des droits libanais sur ses eaux territoriales. Le 9 août, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a lancé un avertissement à Israël, affirmant que « tout bras » essayant de voler la richesse du Liban « sera coupé ». Il a renouvelé sa menace dix jours plus tard, affirmant que le groupe ne resterait pas les bras croisés si Israël continuait à vouloir exploiter le gaz naturel qu’il avait découvert près de la frontière maritime avec le Liban. Une mise en garde à laquelle le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a répondu en menaçant d’une guerre totale si le Hezbollah attaquait l’un des actifs gaziers d’Israël. Ignorant les avertissements du parti chiite, le premier ministre israélien, Yaïr Lapid, a de son côté promis le 19 septembre de commencer la production du champ gazier de Karish « dès que cela sera possible ».
Malgré ces prises de position bellicistes, des sources sécuritaires et politiques israéliennes ont affirmé que l’extraction du gaz naturel du champ de Karish ne serait pas lancée avant la mi-octobre. La ministre israélienne de l’Energie, Karine Elharar, a justifié le retard dans la production par la complexité des opérations d’installation d’une plateforme sous-marine. Il semble cependant que ce report vise à accorder à la médiation américaine le temps nécessaire pour parvenir à un accord permettant d’éviter toute escalade militaire, que ne souhaite aucun des deux protagonistes. Le Liban et Israël sont en effet impatients de délimiter la frontière maritime afin que les travaux d’exploration et d’extraction du gaz de la zone en litige puissent commencer. La demande mondiale d’énergie restant élevée et les pénuries d’approvisionnement continuant de peser sur l’économie internationale avec des prix élevés, les Etats-Unis, l’Europe et d’autres seraient heureux qu’une résolution de la question de la démarcation arrive bientôt. Le Liban en particulier espère commencer bientôt la production énergétique offshore car il est aux prises avec la pire crise économique de son histoire moderne. Toutefois, il ne serait pas exagéré d’affirmer qu’un accord sur la démarcation de la frontière maritime entre le Liban et Israël serait impossible à réaliser sans l’approbation du Hezbollah. Le parti tente de se débarrasser de la perception selon laquelle il est un protecteur du système politique corrompu — en particulier après que ses cadres ont attaqué des manifestants à Beyrouth en 2019 — et a donc cherché les moyens de réaffirmer sa légitimité auprès de la population libanaise à la suite de l’effondrement économique et social généralisé du pays. La perte de la majorité parlementaire du Hezbollah lors des élections de mai dernier était un signal clair que son soutien populaire dans les circonscriptions non chiites s’est érodé. Le parti a maintenant décidé d’essayer de se rattraper en défendant une cause nationale qui, selon lui, amènera d’autres à se rallier à nouveau autour de lui.
En juin dernier, alors qu’Israël envoyait sa plateforme d’exploration « Energean » sur le champ de Karish, le vice-secrétaire général du Hezbollah, Naïm Qassem, a déclaré que le parti s’en remettrait au gouvernement libanais sur la manière de réagir, mais l’a exhorté à agir rapidement et de manière décisive. Cependant, seulement quelques semaines plus tard, le Hezbollah a changé de position et a envoyé un avertissement clair à Israël en juillet en lançant des drones non armés qui ont survolé la plateforme. Cet acte, ainsi que les avertissements ultérieurs de Nasrallah en août, montraient clairement que le Hezbollah utilise la question de la démarcation maritime pour renforcer sa légitimité auprès de la population libanaise.
Ceci étant, il est également peu probable que le parti accepte une solution qui ne corresponde pas à ses priorités, en tête desquelles le refus que l’accord de la démarcation maritime soit le prélude à une reconnaissance d’Israël par le Liban et d’une normalisation entre les deux pays. Conscient de cette réalité et du poids du Hezbollah, le gouvernement libanais s’est efforcé d’affirmer qu’il ne le ferait pas. Ainsi, la demande du Liban de contrôler le champ de Qana — qui s’étend sur une zone revendiquée par Israël — s’est accompagnée d’une insistance sur la séparation avec le gaz qui y est produit par Israël. Cette exigence vise à empêcher tout éventuel accord de partage des revenus, qui serait une forme de reconnaissance d’Israël. Pour le Hezbollah, les enjeux sont particulièrement élevés, étant donné que la légitimité du parti repose sur son engagement à combattre, rejeter et délégitimer Israël.
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