Dans un revirement inattendu, l’Opep+ a décidé le 5 septembre de réduire sa production de 100 000 barils par jour (bpj) le mois prochain, ramenant la production au niveau d’août. La décision inverse exactement l’augmentation de septembre qui a été faite en réponse aux supplications du président américain, Joe Biden, pour aider à faire baisser les prix de l’essence. La réduction décidée, qui intervient deux mois seulement après la visite de Biden en Arabie saoudite, met en évidence les difficultés rencontrées par les Etats-Unis pour rallier leurs partenaires du Golfe aux efforts occidentaux visant à isoler la Russie. La décision pourrait difficilement survenir à un pire moment pour Biden qui s’emploie à empêcher la défaite de son Parti démocrate aux élections à mi-mandat du Congrès, en novembre prochain. Elle indiquerait une évolution inquiétante pour les pays occidentaux qui sont aux prises avec la pression inflationniste due à la flambée des prix du baril et la perspective d’une crise énergétique en hiver.
Bien que la réduction soit insignifiante en termes de volume, elle montre le chemin que le cartel— qui regroupe les pays exportateurs de l’Opep sous la houlette de l’Arabie saoudite et leurs partenaires hors Opep dirigés par la Russie— a l’intention d’emprunter dans les mois à venir. La décision vise à ralentir la récente baisse des prix mondiaux du pétrole qui ont chuté ces dernières semaines à environ 95 dollars le baril, contre 120 dollars auparavant. Les contrats à terme sur le brut avaient perdu 20% de leur valeur au cours des trois derniers mois en raison des craintes d’un ralentissement économique mondial, notamment en Chine, et d’une récession en Occident, mettant en péril les revenus dont bénéficient cette année les pays exportateurs de pétrole. La Chine, le plus grand importateur de brut, a montré des signes d’un ralentissement économique alarmant, au milieu d’un retour au confinement dû au regain du Covid-19, avec une consommation pétrolière en baisse de 9,7% en juillet pour atteindre son plus bas niveau en deux ans. Au même moment, les Etats-Unis ont frôlé la récession et poursuivent une politique monétaire très stricte pour juguler l’inflation.
Dans son rapport du mois d’août sur l’évolution du marché pétrolier, l’Opep a estimé que la demande mondiale du brut diminuerait d’environ 300000 bpj en 2022 et 2023. En même temps, l’Agence internationale de l’énergie a noté que les pics soudains de la demande résultant de l’assouplissement des restrictions pandémiques devraient baisser au 4e trimestre de 2022. Ces indicateurs suggèrent que les principaux producteurs de pétrole se préparent à une baisse de la demande. La réduction de la production de l’Opep annoncée la semaine dernière pourrait être considérée comme une première étape pour soutenir les prix dans cette éventualité.
La baisse récente des prix du pétrole était également liée à l’anticipation d’un possible retour de l’offre pétrolière de l’Iran, à la suite d’informations indiquant l’approche d’un accord sur son programme nucléaire. Bien que rien ne soit encore sûr, un éventuel accord, qui lèvera les sanctions contre l’Iran, verra celui-ci renforcer les approvisionnements mondiaux d’environ 1 million de bpj. L’Iran a progressivement augmenté ces derniers mois ses stocks en pétrole, prêts à l’exportation si un accord était conclu. La société de données et d’analyse basée à Bruxelles, Kpler, a estimé le brut iranien en stockage flottant à 93 millions de barils. Ceux-ci sont actuellement stockés sur des navires dans le Golfe, au large de Singapour et près de la Chine.
Si les sanctions étaient levées, l’Iran aurait toutefois besoin d’environ un an et demi pour atteindre sa pleine capacité de 4 millions de bpj contre 2,6 millions actuellement. Mais il pourrait immédiatement vendre une partie de son pétrole en stockage. Avant que les Etats-Unis ne réimposent les sanctions contre l’Iran après que l’ancien président, Donald Trump, eut quitté l’accord nucléaire en 2018, l’Iran était le troisième producteur de l’Opep après l’Arabie saoudite et l’Iraq. En 2017, il était le quatrième producteur de pétrole au monde, après les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et la Russie. Bien que le pétrole iranien ne compense pas la perte de barils russes, il contribuerait à atténuer les pressions sur l’offre et ferait baisser les prix.
Un possible retour en force de l’Iran sur le marché pétrolier risque de provoquer une rivalité avec l’Arabie saoudite. Les deux pays sont aux antipodes sur plusieurs questions régionales, dont la guerre au Yémen et les crises en Syrie, en Iraq et au Liban, sans oublier le programme nucléaire de l’Iran et son développement de missiles balistiques. Le ministre saoudien de l’Energie, Abdel-Aziz bin Salman, a récemment déclaré que pour soutenir les prix du pétrole, son pays réduirait sa production à mesure que l’Iran augmente la sienne. Cette intention affichée serait toutefois difficile à mettre en application car elle aurait un prix à payer: elle ferait perdre au Royaume des parts du marché au profit de l’Iran et rendrait celui-ci plus utile à l’Occident pour remplacer le pétrole russe, au détriment de l’Arabie saoudite.
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