Cela fait deux ans que le monde est témoin d’événements inédits depuis la Seconde Guerre mondiale. La crise de la pandémie du coronavirus a causé un état de récession économique et a été suivie par une vague d’inflation aigüe, semblable à celle qu’ont vécue les économies américaine et européenne dans les années 1970 du siècle dernier. Avant le déclenchement de cette double crise, les mises en garde des pays en développement se sont multipliées sur le poids étouffant et critique de leurs dettes extérieures. Ces dettes leur tendent un piège qui les fragilise face à la variation des taux d’intérêt, les fluctuations du taux de change, les chocs émanant de la hausse surprenante des coûts de l’emprunt et les possibilités d’être à défaut de remboursement de leurs dettes.
Les estimations de la croissance mondiale, qui connaîtront une courbe descendante cette année et la prochaine, vont de 2,5 % à 3 %. Il s’agit d’une chute aigüe en comparaison des taux de croissance en 2021. Cette contraction de la croissance est accompagnée d’une hausse de l’inflation mondiale qui a atteint 7,8 % en avril dernier, conformément au rapport des perspectives de l’économie mondiale paru le mois dernier. Ledit rapport a également noté une hausse des taux d’inflation dans les pays en développement et les marchés émergents qui dépassent les 9,4 % pour la première fois depuis la crise financière mondiale de 2008. Cette simultanéité entre une baisse successive des taux de croissance et une hausse de l’inflation au-dessus des taux moyens ciblés dans le contexte de la stagflation a entraîné une baisse des revenus de leurs niveaux avant la crise du Covid-19 dans la moitié des pays en développement. Les économies de ces pays sont impactées négativement deux fois : au niveau du recul des opportunités de croissance et la hausse des taux de chômage. Ces économies se trouvent incapables d’augmenter les salaires des employés à des rythmes qui correspondraient à la hausse de l’inflation.
Les décideurs des politiques économiques dans les pays développés se trouvent obligés de revenir sur les registres des décennies écoulées pour savoir comment ont été traitées les hausses successives de l’inflation qui ont caractérisé les années 1970. Ils doivent recenser les outils efficaces et non utiles. Lorsque je me suis entretenu avec les participants à la Conférence de Davos tenue en mai dernier, on s’était mis d’accord que l’inflation aigüe représente un défi face aux directeurs exécutifs des compagnies et des institutions responsables de la production dans les pays développés. Ceux qui occupent ces postes sont dans leur quarantaine ou cinquantaine d’âge. Ce qui veut dire qu’ils étaient dans l’enseignement pré-universitaire lorsque l’inflation était un phénomène préoccupant pour les marchés et qu’ils avaient acquis l’expérience nécessaire pour traiter avec les changements et les cultures qui prévalaient en ce moment. Cependant, il n’y a pas de doute que le fait de revenir en arrière et de se rappeler le fâcheux événement de l’inflation des années 1970 ou bien ses conséquences ne serait aucunement utile aujourd’hui, à cause de la complexité et l’enchevêtrement des crises économiques.
Avec l’acuité de la triple crise de la hausse des prix, la récession et les dettes émergent des opportunités qui se résument dans l’action climatique. Il est donc fondamental qu’elle soit intégrée dans les politiques publiques conformément à une méthodologie globale pour lutter contre les changements climatiques. Il faut pallier les politiques environnementales disparates qui étaient appliquées et qui sapaient toute gestion rationnelle de transition vers la neutralité carbonique stipulée dans l’accord de Paris.
Les risques de la hausse des taux d’intérêt
Il faut premièrement prendre en considération que les politiques consistant à gérer exclusivement la demande en augmentant la hausse des taux d’intérêt ne seront pas bénéfiques économiquement, elles auront même un impact négatif sur les pays en développement; comme l’a explicité Joseph Stiglitz, prix Nobel en économie, dans un article cosigné avec l’économiste Dean Baker. Selon eux, la hausse des prix aux Etats-Unis revient aux chocs du côté de l’offre, comme la hausse aigüe des prix de l’énergie, des aliments et des matières premières dont l’offre a reculé à cause du coronavirus. Ajoutons à ces raisons les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales et les retombées de la guerre en Ukraine. La hausse des taux d’intérêt n’augmentera pas l’offre des produits, au contraire, elle multipliera le coût de l’investissement et entravera les efforts consistant à activer l’offre.
Dans un autre article de l’éminent économiste, également prix Nobel d’économie, Michael Spence met également en garde contre les effets de la hausse exagérée des taux d’intérêt par les Banques Centrales. A son sens, cela fait basculer l’économie mondiale dans une spirale profonde de récession. A propos de la crise de l’Ukraine, Spence estime qu’il existe des entraves du côté de l’offre, de la production et des salaires qui ont besoin de remèdes, et la hausse des taux d’intérêt n’aide pas dans ce cas-là. Il existe également des défis géopolitiques et des volontés de reconstituer les chaînes d’approvisionnement des produits essentiels en localisant les opérations de production. Cela nécessite de traiter avec des sources énergétiques plus diversifiées, ce qui entraîne moins de risques.
Encore une fois, la hausse des taux d’intérêt ne réalisera aucune amélioration vers l’abondance des produits dont les prix ont augmenté. Au contraire, la hausse des taux d’intérêt causera une tarification des actifs financiers et fonciers, ainsi que des devises. Quant à l’influence de cette hausse sur les pays en développement, elle causera la perturbation des marchés des devises étrangères, ainsi que des flux monétaires avec encore plus de difficulté à rembourser les dettes extérieures.
Deuxièmement, il faut stimuler l’offre par le biais de l’augmentation de la production et de la productivité dans les secteurs de l’énergie, des produits alimentaires et de la gestion de l’eau par le biais de l’investissement. Une grande part de l’inflation revient à la hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires causée par la guerre en Ukraine. A court terme, des procédures impulsives sont prises, comme l’emploi des générateurs électriques qui fonctionnent au charbon en Europe. De plus, 30 Etats ont eu recours à des procédures protectrices, interdisant l’exportation des produits agricoles.
C’est à ce moment-là que naissent des motifs encourageant l’investissement dans la nouvelle énergie, l’énergie renouvelable, le développement du secteur agricole, le système de la production alimentaire et l’amélioration de l’usage de l’eau, en concordance avec les procédures d’allégement et d’adaptation climatique couplées à l’élargissement de l’emploi des nouvelles technologies relatives à la transformation numérique et à l’intelligence artificielle, avec tous les nouveaux investissements que cela nécessite.
Dans son communiqué du mois de juin dernier, le G7 a promis d’investir 600 milliards de dollars dans des projets dans des pays en développement au cours des cinq prochaines années dans les domaines du climat, de la santé, de l’infrastructure numérique et informatique et de l’égalité entre les sexes. Ces domaines s’inscrivent dans le cadre de l’accord de Paris et des 17 Objectifs du développement durable. Ce qui nécessite une coopération technique et technologique avec les pays en développement, qui n’est pas moins importante que les financements promis. Le président américain, Joe Biden, a assuré que ces financements ne sont pas des dons ou des aides mais des investissements. Si nous supposons la réalisation de ce flux financier, le fossé de financement nécessaire à la réalisation des Objectifs du développement durable aura encore besoin de plus de flux financiers, estimés à 4,2 milliards de dollars par an, selon les rapports de l’Organisation de coopération et de développement économiques.
A travers les investissements adressés aux pays en développement qui ont des intérêts réciproques, il est possible de traiter avec les défis de la stagnation en boostant le développement des secteurs de production, en facilitant l’obtention de l’énergie propre et en faisant face à la crise alimentaire et à la hausse exorbitante des prix des produits alimentaires, surtout après la guerre en Ukraine.
Troisièmement, il est nécessaire de procéder à la baisse des dettes à travers leur remplacement par des investissements dans le domaine de l’environnement, en partant du principe selon lequel la suppression des dettes accumulées vaut mieux que l’octroi des aides et des dons. Il est absolument nécessaire de revoir les dettes extérieures et d’empêcher les crises de défaut de paiement, ainsi que les répercussions causant des déséquilibres économiques dans les pays en développement. Les trois grandes vagues de dettes qui ont abouti à de grandes crises nous donnent des leçons à retenir.
Le flux monétaire adressé à l’action dans le domaine du climat est tout à fait insuffisant, malgré les promesses. Partant, il est possible de réaliser une coopération internationale au niveau du remplacement des dettes. Ainsi, l’Etat endetté pourra baisser ses dettes extérieures à travers l’exécution de projets comme cela s’est passé dans le cas des deux Etats du Belize et des Seychelles. Il est tout de même préférable que ceci soit effectué à travers des procédures exécutées par l’Etat concerné en coordination avec ses promesses conformément aux accords de Paris, que ce soit dans les domaines de l’allégement ou de l’adaptation à un système déterminé au niveau technique et au niveau de son agenda.
Des solutions
Pour trouver des solutions aux crises actuelles, il ne suffit pas de se contenter de supposer qu’elles ressemblent aux précédentes crises. Le fait de blâmer la source de la crise, que ce soit des raisons extérieures ou un ancien héritage, ne sert à rien. La meilleure leçon à apprendre des crises précédentes est qu’elles ont toutes pris fin, ce qui est rassurant. Or, il faut également retenir qu’elles ne prennent pas fin spontanément, mais à travers le déploiement d’efforts bien organisés et assumés par une équipe professionnelle qui dirige des institutions compétentes par le biais de politiques dont la vision est claire.
Parmi les leçons retenues des précédentes crises est qu’elles ont des coûts qui augmentent au cas où l’affrontement serait retardé. De plus, les fardeaux des crises ne sont pas équitablement répartis. Chose qui doit être prise en considération dans la confection des programmes de règlement des crises. Car les remèdes prescrits sont souvent beaucoup plus douloureux que la crise elle-même. Après la crise, il s’avérera, comme dans le cas des crises précédentes, que ces maux auraient pu être évités, ou du moins la plupart d’entre eux. C’est la plus grande leçon que l’on peut tirer de l’histoire des crises.
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