Ceux qui ont assisté au Forum économique mondial de Davos ont remarqué des différences quant aux précédentes réunions. La première concerne la date du forum, tenu cette année au printemps et non en janvier comme ce fut le cas depuis des décennies. De plus, certains ont avancé qu’à cause du réchauffement climatique, le climat en janvier sera pareil à celui de mai et qu’il n’y aura plus de neige en hiver. Selon les rapports scientifiques, nous ne sommes pas sur la bonne voie permettant de garder la température de la Terre à 1,5 degré Celsius de plus par rapport à l’époque d’avant la révolution industrielle. C’est le seuil que les savants ont fixé pour la continuité de la vie sur la Terre, bien qu’il y ait tout de même des dangers dépassant ceux que nous vivons aujourd’hui, alors que nous sommes encore au seuil de 1,1 degré, comme les inondations, la sécheresse et les incendies de forêts.
La une des publications répandues dans les couloirs du forum reflétait les crises et les tensions géopolitiques actuelles. Sous le titre « Le monde après la guerre », la revue Foreign Affairs a montré le drapeau de l’Ukraine couvrant presque la totalité du globe terrestre, comme expression de l’étendue de l’impact de la guerre, alors que Foreign Policy a voulu se distinguer par des titres sur La Compétition du siècle, entre les Etats-Unis et la Chine.
La couverture la plus choquante était celle du magazine britannique The Economist, avec une illustration où les grains de blé sont remplacés par des crânes humains, sous le titre La Prochaine catastrophe alimentaire. Quant aux publications africaines et asiatiques, elles étaient plus pragmatiques, s’intéressant aux moyens pratiques de dépasser les crises actuelles. Les crises énergétique, alimentaire et économique, en particulier l’inflation, les risques de la dette internationale et les craintes de récession ont dominé les séances, tandis que les débats ont focalisé sur les implications des crises géopolitiques et de la guerre en Ukraine.
Revenant sur la crise alimentaire actuelle marquée par la hausse des prix et des coûts de transport et de sécurisation de la nourriture, en plus de la rareté des quantités censées affluer vers les zones frappées par la sécheresse. Certes, la part des économies russe et ukrainienne dans l’économie mondiale ne dépasse pas 4 % du PIB mondial, mais prendre en compte ce seul critère peut désorienter. Car malgré cette part relativement faible des deux pays dans le PIB mondial, leurs contributions dans les secteurs de l’énergie et de l’alimentation sont importantes. L’Ukraine exporte à elle seule 17 millions de tonnes de blé, soit 9 % du total des exportations mondiales, et ses marchés sont concentrés dans des pays déterminés. Comment alors une exportation de moins de 10 % d’un produit de base peutelle provoquer une telle crise mondiale ? Cela revient à la politique économique prévalant avant la crise ukrainienne dans un monde qui ressemble plus à une arène de combat qu’à une scène de coopération internationale.
Les restrictions qui ont été imposées au commerce international par Donald Trump, beaucoup plus strictes que celles imposées par ses prédécesseurs, et qui ont touché les produits chinois après lui, ont paralysé l’action de l’Organisation mondiale du commerce. Diverses mesures protectionnistes ont été imposées par les uns contre les autres, sans prendre en considération les engagements internationaux, et ces mesures ont alors atteint ceux qui scandaient les principes de la liberté du commerce.
Pour simplifier, disons que les transactions économiques sont basées sur des règles, toujours fixées par la partie la plus forte, qui s’accapare la plus grande part de gains et laisse une part inégale aux autres parties du jeu. Mais si le jeu continue et les plus faibles deviennent maîtres de ses règles et réalisent des profits, la partie dominante commence par faire preuve d’indulgence pour montrer qu’elle respecte les règles. Mais si elle continue à perdre, elle essaie de changer rapidement les règles du jeu dans le but de retrouver les anciens gains. Ce qui s’est passé dans la crise alimentaire est encore plus féroce. Avec la perturbation des lignes d’approvisionnement ukrainiennes, les gouvernements ont oublié les règles de la liberté du commerce. Selon le grand économiste à la Banque mondiale et conseiller du gouvernement indien, Kaushik Basu, 26 Etats ont pris des mesures d’interdiction de l’exportation des produits alimentaires. Ce qui a engendré des hausses consécutives des prix à cause du stockage et du monopole des marchandises. Les commerçants et les individus ont fait de même ; les premiers dans l’espoir de réaliser des gains suite à la hausse des prix et les seconds de peur de souffrir d’une pénurie. Mais en réalité, ce sont ces comportements qui ont causé la pénurie.
Basu explique, dans un article publié récemment, que l’expérience de l’Inde en matière de réglementation interne de ses marchés, pour éviter les comportements nuisibles tels que le stockage et le monopole, pourrait être profitable à l’échelle mondiale. Et ce, par le biais de l’instauration d’un système contraignant de coopération internationale soutenu par des procédures juridiques et des mécanismes permettant de fournir la nourriture et prévenir les famines. Il a donné un autre exemple réalisé à travers la modification de la Constitution américaine pour permettre l’instauration de barrières de protection contre les crises alimentaires dans tous les Etats américains. Malheureusement, il semble qu’il n’existe pas au sein de la communauté internationale une volonté politique d’appliquer ces idées. La coopération internationale est la mesure minimale qui empêche un nouvel effondrement pouvant affecter ceux qui pensent être à l’abri des crises. Cependant, il existe un soutien pratique à cette tendance coopérative dans l’Accord de Paris de 2015 et les engagements contraignants de ses signataires pour lutter contre le changement climatique. Cet accord fait avancer les efforts pour un climat sûr et un environnement propre, soutenus par les jeunes générations, les organisations de la société civile et les autres acteurs non gouvernementaux, y compris le secteur privé, les entreprises et les institutions financières.
Les questions de nutrition et d’alimentation font partie des sujets soutenus par la présidence du prochain sommet de Charm Al-Cheikh en novembre. En effet, 800 millions de personnes sont privées de nourriture et 76 % de la population mondiale compte pour sa nourriture sur des cultures qui sont menacées par le changement climatique, sans oublier la modification de leur qualité à cause de l’augmentation des émissions de carbone. D’où la nécessité d’adopter des projets communs dans les domaines de l’agriculture, de la nutrition, de l’énergie et de la gestion de l’eau afin de transformer les idées ingénieuses en investissements significatifs. Un sujet qui sera abordé en détail lors de sessions spécialisées précédant la COP27 à Charm Al-Cheikh, qui adopte le slogan pratique « Ensemble vers la mise en oeuvre ». Après la réitération des promesses et des engagements pendant de longues années, il est grand temps de passer à l’action.
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