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Compromis sur le marché pétrolier

Mercredi, 08 juin 2022

Les pays arabes producteurs de   pétrole sont au coeur d’une intense   activité de lobbying diplomatique   menée par les Etats-Unis et la Russie. Le   ministre russe des Affaires étrangères,   Sergueï Lavrov, s’est rendu la semaine   dernière dans la région du Golfe, où il a   rencontré ses homologues du Conseil de   Coopération du Golfe (CCG), composé de   l’Arabie saoudite, des Emirats Arabes Unis   (EAU), du Koweït, de Bahreïn, du Qatar   et d’Oman. Sa tournée est intervenue à la   veille de la tenue, le 2 juin, de la réunion   des ministres du Pétrole des 13 membres   de l’Opep et des 10 producteurs non-Opep   dirigés par la Russie, un groupe appelé   Opep+. Lavrov visait à éviter l’exclusion   de son pays de l’accord sur les quotas de   production, après l’imposition de sanctions,   le 30 mai, par l’Union Européenne (UE),   sur les importations du brut russe. Moscou   a particulièrement insisté pour que sa   part du marché pétrolier, menacée par les   sanctions européennes, soit respectée.

Il   compte, à cette fin, sur la réorientation de   ses exportations vers la Chine et l’Inde, où   il pratique une politique de vente au rabais.   En même temps, les Etats-Unis s’activent   depuis des mois auprès de l’Arabie   saoudite, chef de file de l’Opep, et des   EAU, qui disposent tous deux de capacités   de production supplémentaires, pour les   inciter à produire davantage afin de juguler   la flambée des prix, réduire la dépendance   européenne sur les importations de la   Russie et priver celle-ci de revenus qu’elle   utilise dans sa guerre contre l’Ukraine.   L’Administration américaine prépare à ce   sujet la première visite, prévue fin juin, du   président Joe Biden en Arabie saoudite, où il   devrait rencontrer, pour la première fois, le   prince héritier Mohamad Bin Salman, dans   le but d’améliorer des relations bilatérales   tendues et d’obtenir des engagements sur la   production pétrolière.

L’effet des pressions contradictoires   exercées par Moscou et Washington s’est   traduit dans le compromis dégagé jeudi   à l’issue de la réunion de l’Opep+. Celleci   a décidé d’augmenter la production de   près de 650 000 barils par jour en juillet et   août, soit près des deux tiers de plus que   les augmentations précédemment prévues   d’environ 400 000 b/j. La Maison Blanche   a immédiatement salué la hausse de la   production comme une réussite après des   mois de lobbying auprès des géants pétroliers   du Moyen-Orient pour augmenter leur   production. Même si l’augmentation reste   en deçà des demandes occidentales et peu   susceptible de faire chuter significativement   les prix de l’essence, étant donné que les   barils supplémentaires ne compenseront   pas la perte potentielle de plus d’un million   de barils par jour de la Russie en raison de   l’embargo européen, Washington considère   la décision de l’Opep+ comme un début de   percée diplomatique, conduisant à plus de   coopération de la part de l’Arabie saoudite   et d’autres pays comme les EAU. Il table sur   la prochaine visite de Biden à Riyad, où il   devrait rencontrer les dirigeants   du CCG, pour approfondir cette   tendance, dans le but de réduire   les prix, affaiblir et isoler la   Russie.

L’Arabie saoudite a certes   fait un pas en direction de   Washington dans la réunion de   l’Opep+, mais ne semble pas   vouloir rompre son alliance   de cinq ans en matière pétrolière avec   Moscou, co-leader de l’Opep+, car elle   a trop investi dans cette relation pour y   renoncer. Justifiant la décision d’augmenter   la production, l’Opep+ a invoqué la   récente réouverture des principaux centres   économiques mondiaux, en référence à   la Chine, mais a omis — pour ménager   Moscou — de mentionner les retombées   du conflit ukrainien, qui ont conduit à des   embargos pétroliers occidentaux contre la   Russie et, par conséquent, à une demande   accrue de pétrole d’autres producteurs.   L’Arabie saoudite avait précédemment   rejeté les demandes américaines   d’augmenter la production au-delà du quota   de longue date convenu avec la Russie.   Mais les inquiétudes selon lesquelles des   prix exorbitants pourraient faire basculer   le monde dans la récession semblent avoir   joué dans la balance et poussé vers une   augmentation, somme toute limitée. Et pour   cause : les grands producteurs de pétrole   comme l’Arabie saoudite et les EAU ont   globalement bénéficié de la guerre en   Ukraine. A titre d’exemple, les revenus   des ventes de pétrole saoudien   devraient établir un record   cette année, portant l’excédent   commercial du Royaume à plus   de 250 milliards de dollars.

L’Arabie saoudite a   refusé, malgré les pressions   occidentales, d’enfreindre son   quota pour maintenir l’unité   de l’Opep+ plutôt que de   déclencher une guerre des prix afin de   maintenir les parts de marché. Toutefois,   avec les sanctions européennes sur le brut   russe, Riyad était conscient des risques   de pénurie d’approvisionnement et du fait   qu’il n’est pas dans son intérêt de perdre   le contrôle des prix, au moment où les   principales économies dans le monde   rouvrent au milieu d’une reprise postpandémie,   entraînant une demande plus   élevée de brut. D’où son action en faveur   du compromis annoncé par l’Opep+, à   mi-chemin entre les intérêts russes et   américains.

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