Les pays arabes producteurs de pétrole sont au coeur d’une intense activité de lobbying diplomatique menée par les Etats-Unis et la Russie. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est rendu la semaine dernière dans la région du Golfe, où il a rencontré ses homologues du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), composé de l’Arabie saoudite, des Emirats Arabes Unis (EAU), du Koweït, de Bahreïn, du Qatar et d’Oman. Sa tournée est intervenue à la veille de la tenue, le 2 juin, de la réunion des ministres du Pétrole des 13 membres de l’Opep et des 10 producteurs non-Opep dirigés par la Russie, un groupe appelé Opep+. Lavrov visait à éviter l’exclusion de son pays de l’accord sur les quotas de production, après l’imposition de sanctions, le 30 mai, par l’Union Européenne (UE), sur les importations du brut russe. Moscou a particulièrement insisté pour que sa part du marché pétrolier, menacée par les sanctions européennes, soit respectée.
Il compte, à cette fin, sur la réorientation de ses exportations vers la Chine et l’Inde, où il pratique une politique de vente au rabais. En même temps, les Etats-Unis s’activent depuis des mois auprès de l’Arabie saoudite, chef de file de l’Opep, et des EAU, qui disposent tous deux de capacités de production supplémentaires, pour les inciter à produire davantage afin de juguler la flambée des prix, réduire la dépendance européenne sur les importations de la Russie et priver celle-ci de revenus qu’elle utilise dans sa guerre contre l’Ukraine. L’Administration américaine prépare à ce sujet la première visite, prévue fin juin, du président Joe Biden en Arabie saoudite, où il devrait rencontrer, pour la première fois, le prince héritier Mohamad Bin Salman, dans le but d’améliorer des relations bilatérales tendues et d’obtenir des engagements sur la production pétrolière.
L’effet des pressions contradictoires exercées par Moscou et Washington s’est traduit dans le compromis dégagé jeudi à l’issue de la réunion de l’Opep+. Celleci a décidé d’augmenter la production de près de 650 000 barils par jour en juillet et août, soit près des deux tiers de plus que les augmentations précédemment prévues d’environ 400 000 b/j. La Maison Blanche a immédiatement salué la hausse de la production comme une réussite après des mois de lobbying auprès des géants pétroliers du Moyen-Orient pour augmenter leur production. Même si l’augmentation reste en deçà des demandes occidentales et peu susceptible de faire chuter significativement les prix de l’essence, étant donné que les barils supplémentaires ne compenseront pas la perte potentielle de plus d’un million de barils par jour de la Russie en raison de l’embargo européen, Washington considère la décision de l’Opep+ comme un début de percée diplomatique, conduisant à plus de coopération de la part de l’Arabie saoudite et d’autres pays comme les EAU. Il table sur la prochaine visite de Biden à Riyad, où il devrait rencontrer les dirigeants du CCG, pour approfondir cette tendance, dans le but de réduire les prix, affaiblir et isoler la Russie.
L’Arabie saoudite a certes fait un pas en direction de Washington dans la réunion de l’Opep+, mais ne semble pas vouloir rompre son alliance de cinq ans en matière pétrolière avec Moscou, co-leader de l’Opep+, car elle a trop investi dans cette relation pour y renoncer. Justifiant la décision d’augmenter la production, l’Opep+ a invoqué la récente réouverture des principaux centres économiques mondiaux, en référence à la Chine, mais a omis — pour ménager Moscou — de mentionner les retombées du conflit ukrainien, qui ont conduit à des embargos pétroliers occidentaux contre la Russie et, par conséquent, à une demande accrue de pétrole d’autres producteurs. L’Arabie saoudite avait précédemment rejeté les demandes américaines d’augmenter la production au-delà du quota de longue date convenu avec la Russie. Mais les inquiétudes selon lesquelles des prix exorbitants pourraient faire basculer le monde dans la récession semblent avoir joué dans la balance et poussé vers une augmentation, somme toute limitée. Et pour cause : les grands producteurs de pétrole comme l’Arabie saoudite et les EAU ont globalement bénéficié de la guerre en Ukraine. A titre d’exemple, les revenus des ventes de pétrole saoudien devraient établir un record cette année, portant l’excédent commercial du Royaume à plus de 250 milliards de dollars.
L’Arabie saoudite a refusé, malgré les pressions occidentales, d’enfreindre son quota pour maintenir l’unité de l’Opep+ plutôt que de déclencher une guerre des prix afin de maintenir les parts de marché. Toutefois, avec les sanctions européennes sur le brut russe, Riyad était conscient des risques de pénurie d’approvisionnement et du fait qu’il n’est pas dans son intérêt de perdre le contrôle des prix, au moment où les principales économies dans le monde rouvrent au milieu d’une reprise postpandémie, entraînant une demande plus élevée de brut. D’où son action en faveur du compromis annoncé par l’Opep+, à mi-chemin entre les intérêts russes et américains.
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