Les résultats des législatives au Liban sont une bonne nouvelle pour l’Arabie saoudite. La perte de la majorité au parlement par le Hezbollah chiite et ses alliés pourrait ainsi jouer à l’avantage de Riyad dans sa lutte d’influence régionale avec l’Iran et lui donner de nouvelles possibilités de réaffirmer sa présence au pays du Cèdre.
La tenue des élections, le 15 mai, intervenait quelques semaines après le retour de l’ambassadeur saoudien à Beyrouth, le 8 avril. Il avait été rappelé en octobre dernier à la suite de la crise politique provoquée par les critiques du ministre libanais de l’Information, George Kordahi – qui a démissionné depuis — contre la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen. Bien que Kordahi ait fait ces commentaires avant d’être nommé ministre, Riyad et d’autres pays du Golfe ont retiré leurs ambassadeurs de Beyrouth après qu’un enregistrement des critiques avait refait surface.
Le retour de l’ambassadeur est le signe d’un regain d’intérêt saoudien pour le Liban. Il a coïncidé avec l’organisation des législatives que le Royaume estimait être l’occasion pour une redistribution des cartes politiques en sa faveur. Ce réengagement est un indicateur d’une nouvelle approche vis-à-vis du Liban. Au lieu de frapper ce dernier d’ostracisme, l’Arabie saoudite tente désormais de se créer une marge de manoeuvre au sein de la classe politique libanaise pour limiter l’influence que l’Iran exerce à travers le Hezbollah. Le moment choisi par l’Arabie saoudite pour le rétablissement de ses relations diplomatiques avec Beyrouth indique qu’elle cherche à s’assurer que les résultats des élections sont à son avantage. Pour ce faire, le Royaume s’efforce de s’engager avec les acteurs politiques libanais en vue d’obtenir le soutien des formations et élus anti-Hezbollah, plutôt que de renouer le dialogue avec l’Etat.
L’Arabie saoudite s’était largement lavé les mains du Liban et avait interrompu son soutien financier après avoir dépensé des milliards de dollars afin de se tailler une influence dans le pays. Elle a finalement constaté, à ses dépens, que le rôle du Hezbollah ne cessait de grandir et que, par conséquent, l’Iran étendait son influence. De même, elle s’est rendu compte que la politique d’isolement régional du Liban, qu’elle a poursuivie ces derniers mois, n’a rien changé. Par conséquent, elle a opté pour une nouvelle approche fondée sur une ouverture à l’ensemble des partis hostiles au Hezbollah afin de se créer un groupe d’acteurs politiques qui lui soit fidèle. La sphère d’influence recherchée ne se limiterait pas à la seule communauté sunnite, traditionnellement proche de Riyad et dont est issu le premier ministre, selon les règles du confessionnalisme au Liban. Il s’agit aussi et surtout du parti chrétien des Forces libanaises, dirigé par Samir Geagea, du Parti socialiste progressiste du dirigeant de la communauté druze, Walid Joumblatt, ainsi que d’autres formations de l’alliance du 14 Mars, qui se sont déclarées en faveur du rétablissement des liens avec les monarchies du Golfe. Il s’agit donc pour Riyad de ne plus s’appuyer sur la seule communauté sunnite, comme c’était le cas auparavant, mais de s’ouvrir à toutes les communautés afin de s’assurer le plus large soutien et d’élargir sa marge de manoeuvre face à la puissance du Hezbollah.
Le réengagement saoudien avec le Liban s’inscrit également dans une logique d’anticipation du rapprochement arabe avec le président Bachar Al-Assad en Syrie – un allié de l’Iran –, dont l’influence au Liban est bien connue. Pour contenir l’influence de la République islamique dans la région, l’Arabie saoudite semble dorénavant consciente de la nécessité de reconstruire ses liens avec des pays proches de Téhéran, comme le Liban et la Syrie, en particulier si l’accord sur le nucléaire iranien est signé.
La nouvelle approche saoudienne au Liban s’explique aussi par le fait que le retrait en janvier de la vie politique de l’ancien premier ministre Saad Hariri – autrefois allié de Riyad — et son départ de la tête du parti du Mouvement du Futur ont fragmenté la communauté politique sunnite, d’autant plus que les résultats des législatives ont montré que les sièges sunnites au parlement sont partagés entre alliés et opposants du Hezbollah. Les résultats du scrutin ont modifié le contexte politique au Liban au profit de l’Arabie saoudite, ce qui lui donnera de nouvelles options dans ses rapports avec Beyrouth : un quart ou un peu plus du nouveau parlement est fortement anti-Hezbollah et favorable au raffermissement des rapports avec Riyad. Nonobstant cela, la question de la domination du Hezbollah sur la scène politique libanaise est loin d’être terminée, ce qui incitera probablement l’Arabie saoudite à la prudence dans sa nouvelle approche. Déjà, les résultats de la consultation électorale ont suscité des comparaisons avec l’Iraq, où les législatives tenues en octobre dernier sur fond de colère populaire contre la pauvreté et la corruption se sont soldées par de mauvais résultats pour les factions chiites soutenues par l’Iran. Depuis lors, l’Iraq est embourbé dans une paralysie politique. Une conséquence qui risque de se produire au Liban.
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