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Jeu à trois dans le Golfe

Mercredi, 23 mars 2022

Dans un nouveau signe de rapprochement, le président chinois, Xi Jinping, devrait se rendre en mai prochain en Arabie saoudite, à l’invitation du roi Salman. La visite, dont le but est de renforcer les relations bilatérales, sera le premier voyage du président chinois à l’extérieur du pays depuis le début de la pandémie du Covid-19 en 2020. Riyad prévoit de recevoir Jinping avec un faste similaire à celui qu’il a accordé à l’ancien président américain, Donald Trump, en 2017, lorsqu’il a visité le Royaume lors de son premier déplacement à l’étranger.

Le rapprochement entre la Chine et l’Arabie saoudite est inséparable de la tension actuelle entre cette dernière et les Etats-Unis. Depuis l’entrée en fonction du président Joe Biden, en janvier 2021, le partenariat stratégique de longue date entre Riyad et Washington est en butte à plusieurs difficultés concernant les garanties de sécurité américaines aux pays pétroliers du Golfe, la guerre au Yémen, la volonté américaine de restaurer l’accord sur le programme nucléaire de l’Iran et le bilan saoudien en matière des droits de l’homme. Depuis qu’il est devenu président, Biden a clairement indiqué qu’il ne considérait pas l’Arabie saoudite comme un allié, mais plutôt comme un partenaire.

Cette tension n’est sans doute pas étrangère au refus de l’Arabie saoudite, premier exportateur de pétrole au monde, d’accéder à la demande américaine d’augmenter sa production du brut afin de faire baisser les prix du baril, qui ont monté en flèche en raison de la guerre Russie-Ukraine. Le conseiller présidentiel à la sécurité nationale américaine, Brett McGurk, s’est rendu à Riyad le 15 mars pour demander l’augmentation de la production pétrolière saoudienne. Mais l’Arabie saoudite ainsi que son allié les Emirats arabes unis, qui comptent parmi une poignée de producteurs disposant d’une capacité de réserve, ont refusé la demande américaine, invoquant qu’ils sont tenus de respecter un accord de plafond de production conclu dans le cadre de l’Opep+ avec la Russie.

Alors que les rapports économiques de Riyad avec Washington ont décliné en raison du recul de la dépendance des Etats-Unis sur le pétrole saoudien, ses relations économiques avec la Chine ont connu une évolution rapide ces dernières années. La Chine est devenue le premier partenaire économique du Royaume, alors que celui-ci est devenu son premier fournisseur de pétrole. C’est dans ce contexte que les deux pays sont en «  pourparler actif », selon le Wall Street Journal, pour fixer le prix de « certaines ventes » de pétrole saoudien en yuan au lieu du dollar américain. Les pourparlers durent depuis six ans, mais se sont récemment accélérés en raison des inquiétudes saoudiennes concernant la politique de Washington.

L’Arabie saoudite et les Etats-Unis ont convenu en 1974 de fixer le prix des ventes de pétrole en dollars, ce qui a contribué à faire du dollar la monnaie de réserve dominante dans le monde. Le statut robuste du dollar doit beaucoup, certes, à la vigueur de l’économie américaine, mais aussi à sa liquidité abondante qui résulte en partie du fait que les pays conservent des réserves de dollars pour acheter du pétrole. Ainsi, l’hégémonie géopolitique des Etats-Unis repose en partie sur les pétrodollars, avec 80% des transactions pétrolières mondiales libellées en dollars.

Si Riyad accepte des paiements en yuan, cela pourrait entamer la suprématie du dollar et accélérer le lent déclin de l’économie américaine. Le rôle du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale permet à Washington d’enregistrer des déficits budgétaires chroniques, en sachant qu’il peut emprunter facilement. Si les plus grands exportateur et consommateur de pétrole au monde, respectivement l’Arabie saoudite et la Chine, décidaient un jour de mener leur commerce d’une autre manière, ils pourraient saper la domination américaine sur les marchés financiers mondiaux et inciter d’autres acheteurs à leur emboîter le pas.

Certains analystes pensent cependant que l’impact d’une telle évolution pourrait être minime, étant donné que les négociations sino-saoudiennes ne portent pour l’instant que sur certaines ventes de pétrole. Ils invoquent le fait que la Chine a déjà libellé quelques contrats d’achat de pétrole en yuan sans effet majeur sur l’économie mondiale. En réalité, il est probable que les pourparlers sino-saoudiens, qui ne portent que sur certaines ventes, sont, dans l’esprit de Riyad, destinés à lancer une mise en garde à Washington pour l’inciter à modifier sa politique à son égard. Il est douteux, au moins à court terme, que l’Arabie saoudite décide d’aller très loin dans sa séparation avec les Etats-Unis, étant donné les liens stratégiques, militaires et économiques qui les lient toujours. Le riyal d’Arabie saoudite est, à titre d’exemple, rattaché au dollar, de sorte que tout dommage porté à celui-ci nuira également à la monnaie saoudienne, sans parler des avoirs de réserve de Riyad en dollars, de ses investissements aux Etats-Unis et de ses possessions en actions américaines.

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