Les libanaisrisquent de payer le prix de la crise diplomatique qui s’est déclenchée fin octobre entre leur pays et l’Arabie saoudite, ainsi que d’autres riches monarchies du Golfe, les Emirats arabes unis, le Koweït et Bahreïn.
Riyad, autrefois un allié important qui a versé des millions de dollars de soutien au Liban, a pris des mesures punitives, dont l’arrêt des importations libanaises au Royaume estimées par l’Onu à 219,6 millions de dollars en 2020, ce qui représente 12 % des débouchés à l’exportation du secteur industriel. Ces mesures sont un coup dur pour un pays dont les principaux partenaires commerciaux se trouvent dans la région du Golfe.
La crise, qui trouve ses racines dans la rivalité de longue date entre l’Arabie saoudite et l’Iran, a été provoquée par des déclarations du ministre libanais de l’Information, Georges Kordahi, dans lesquelles il a critiqué l’intervention militaire saoudo-émiratie au Yémen, qu’il a qualifiée d’« absurde ». Il a également estimé que les rebelles houthis, soutenus par l’Iran et le Hezbollah chiite libanais, ne font que « se défendre ». Ces propos, tenus en août mais diffusés fin octobre, après sa nomination au gouvernement en septembre, ont provoqué l’ire de l’Arabie saoudite qui les a taxés d’« insultants ». Le ministre a refusé de s’excuser ou de démissionner, car il est fermement soutenu par le Hezbollah, qui a estimé que sa démission ne résoudrait pas ce qu’il a appelé de « l’extorsion » pour forcer le Liban à changer sa politique étrangère. Kordahi a été nommé au gouvernement du premier ministre, Najib Mikati, par le mouvement Marada, un parti chrétien maronite allié au Hezbollah.
La réaction violente de l’Arabie saoudite s’explique par le fait qu’elle considère les critiques du ministre comme un symptôme de l’influence croissante de l’Iran au Liban via son puissant allié, le Hezbollah. Elle estime que ces déclarations n’auraient pu avoir lieu sans la domination du jeu politique libanais par le mouvement chiite, grâce au soutien de Téhéran. Cet aspect a été reconnu par le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal bin Farhan Al Saud, qui a affirmé que la question allait au-delà des commentaires de Kordahi. « Il est important que le gouvernement libanais (…) trace une voie à suivre qui libère le Liban de la structure politique actuelle, qui renforce la domination du Hezbollah », a-t-il souligné.
La crise est ainsi le dernier épisode de la rivalité qui se joue depuis plusieurs années au Liban entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Riyad était depuis longtemps un proche allié des politiciens de la communauté sunnite du Liban, qui choisit le premier ministre dans le cadre du système sectaire du pays. Particulièrement depuis l’assassinat en 2005 de son plus puissant allié, l’ancien premier ministre Rafic Hariri, le Royaume a perdu de son influence au Liban à mesure que celle de Téhéran s’est développée grâce à la montée en puissance du Hezbollah. L’Arabie saoudite a pris depuis des mesures sporadiques pour tenter de recouvrer le terrain perdu, mais n’a réussi ni à développer une stratégie cohérente, ni à trouver de nouveaux alliés bien enracinés. Sa mesure la plus drastique est intervenue en 2017, lorsqu’elle a forcé le premier ministre de l’époque Saad Hariri, jugé trop conciliant avec le Hezbollah, à annoncer sa démission, invoquant la domination du parti chiite, dans une déclaration télévisée lors d’une brève visite au Royaume, où il a apparemment été détenu contre son gré.
Mais l’action saoudienne a fait long feu. Hariri est rentré chez lui et a révoqué sa démission, soutenu par le Hezbollah. Il a perdu le soutien saoudien et ses relations avec Riyad sont froides depuis. Plus récemment, le Royaume a refusé de soutenir Mikati en tant que premier ministre en raison de sa coalition avec le Hezbollah. Les Saoudiens se sont retrouvés toutefois seuls lorsque les Etats-Unis et la France ont exprimé leur soutien à Mikati, après que le Liban avait resté sans gouvernement depuis plus d’un an.
La réaction de Riyad face aux propos de Kordahi se comprend comme un moyen de faire pression sur le gouvernement libanais pour qu’il prenne position contre l’Iran et le Hezbollah. Cependant, en isolant le Liban de ses soutiens au Golfe, Riyad risque de provoquer l’effet inverse et de renforcer la mainmise du Hezbollah et de l’Iran. Lors de la récente crise énergétique dans le pays, le parti chiite a acheminé une première livraison de carburant iranien le 16 septembre. Le 7 octobre, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abollahian, en visite à Beyrouth, a voulu capitaliser sur ce développement en offrant le soutien économique de son pays. Il a promis, entre autres, la construction de deux centrales électriques dans un délai de 18 mois seulement pour aider le Liban à surmonter sa grave pénurie d’électricité.
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