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Aux origines du conflit au Soudan

Hicham Mourad , Mardi, 02 novembre 2021

La prise du pouvoir par l’armée au Soudan, le 25 octobre, fait entrer la transition démocratique dans une phase à l’issue inconnue, lourde de conséquences. A moins qu’un compromis ne soit trouvé pour régler les problèmes entre civils et militaires, le pays risque de plonger dans l’instabilité.

Hicham Mourad

Depuis l’échec de la tentative du coup d’Etat contre le gouvernement de transition le 21 septembre, la tension a monté d’un cran entre les dirigeants militaires et civils, les deux parties s’accusant mutuellement de chercher à s’approprier le pouvoir. Le 26 septembre, les chefs militaires ont retiré les forces de sécurité qui gardaient les membres, les locaux et les avoirs de l’ancien régime récupérés par le « Comité pour la suppression de l’autonomisation, la lutte contre la corruption et la récupération des fonds ». Ce comité a été formé en application d’une loi approuvée par le Conseil des ministres en décembre 2019 pour démanteler le « système » établi par le président déchu Omar Al-Béchir, confisquer ses biens et interdire l’activité de ses dirigeants. L’« autonomisation » était le terme utilisé par le régime déchu pour désigner son action de soutien à ses affiliés qui bénéficiaient de privilèges étendus, y compris des fonctions gouvernementales, la création de diverses entreprises et des exonérations fiscales.

Dans la foulée de la tension entre les composantes militaire et civile des instances de transition, la presse soudanaise a rapporté que le service de renseignements avait imposé une interdiction de voyager à des dirigeants civils influents, alimentant davantage la crise. La plupart des responsables visés par l’interdiction étaient membres du Comité pour la suppression de l’autonomisation, chargé de purger le Soudan de l’héritage financier et politique d’Al-Béchir. Cependant, le service de renseignements a nié le 13 octobre toute implication dans cette affaire, sans le démentir. Le comité a été ainsi au premier rang des causes de tension entre les responsables civils et militaires qui dirigeaient le pays depuis le renversement d’Al-Béchir en avril 2019, par le biais du Conseil de souveraineté. Des membres de la composante militaire de ce dernier ont attaqué les actions du comité car, selon eux, elles attisent le mécontentement des partisans de l’ancien régime et provoquent des protestations populaires à l’est du pays. Ils ont avancé que sa décision d’exproprier les propriétés du dernier premier ministre sous Al-Béchir, Mohamed Taher Ayala, était à l’origine des manifestations qui avaient bloqué le principal port du pays, Port-Soudan, provoquant une pénurie des produits de base. Les protestataires, issus des tribus de Béja, exigeaient, entre autres, la dissolution du comité.

Les civils estiment, pour leur part, que l’opposition des militaires au comité provient du fait que ses actions pourraient les atteindre un jour et que l’aboutissement de la transition vers la démocratie menacerait les vastes intérêts économiques de l’armée, y compris le contrôle du commerce de l’or. Pour eux, la prise du pouvoir par l’armée a été déclenchée par sa crainte de perdre le contrôle du Conseil de souveraineté à l’approche de la date de transfert de sa présidence aux civils, prévu en 2022. La pression interne exercée par des centaines de milliers de manifestants venus de différentes villes au cours des dernières semaines pour exiger un régime civil a fait que le commandement de l’armée se sentait assiégé. Pour contre-attaquer, celui-ci a créé ses propres faits sur le terrain pour étayer son discours selon lequel les dirigeants civils sont incapables de gérer les défis ethniques, sécuritaires et économiques complexes du pays et ne sont donc pas aptes à diriger seuls. A partir du 16 octobre, des manifestations, orchestrées par les militaires, scandaient devant les marches du palais présidentiel des slogans appelant à la dissolution du gouvernement civil. L’armée soutenait également le groupe tribal qui avait bloqué Port-Soudan. A l’annonce de la prise du pouvoir par l’armée et la dissolution du gouvernement et du Conseil de souveraineté, le chef de la tribu a annoncé la levée du blocus.

L’une des questions litigieuses entre civils et militaires est le sort d’Al-Béchir. L’autocrate déchu croupit dans une prison de Khartoum depuis son éviction, reconnu coupable de corruption lors d’un procès en attendant de nouvelles charges. Les dirigeants civils ont voulu aller plus loin, affirmant qu’ils enverraient l’ancien président à son procès devant la Cour pénale internationale à La Haye, où il est recherché pour des accusations vieilles de dix ans de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide liés à son rôle dans le conflit du Darfour (ouest), qui a fait plus de 300 000 morts, selon l’Onu. Mais la perspective de traduire Al-Béchir en justice devant un tribunal international a semblé déconcerter les hauts gradés, qui risquent de voir un procès les exposer à des poursuites pénales pour leur possible implication dans le conflit du Darfour.

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