J’ai du mal à croire qu’aucun appareil de l’Etat ne s’est intéressé à l’état de santé d’Ibrahim Abdel-Méguid, l’un de nos plus grands romanciers égyptiens contemporains. Abdel-Méguid est l’auteur de plus de 20 romans des plus importants de la bibliothèque arabe dont Beit Al-Yasmine (la maison du jasmin), La Ahad Yanam fi Al-Askandariya (personne ne dort à Alexandrie) et Al-Balda Al-Okhra (l’autre village), en 5 recueils exceptionnels.
Aujourd’hui, Ibrahim Abdel-Méguid ne peut presque plus bouger sans l’aide de quelqu’un, alors qu’il était très actif et assistait à tous les événements culturels ces 5 dernières années. Ibrahim Abdel-Méguid est un grand écrivain, dont les oeuvres, présentes dans les librairies anglaises, françaises et allemandes, sont une grande fierté.
L’influence du livre peut durer de longues années et changer le stéréotype répandu à l’étranger selon lequel nous sommes une nation arriérée qui souffre de l’ignorance, de la pauvreté et de la violence au nom de la religion. Un seul roman traduit peut montrer au monde la culture raffinée de notre nation et sa richesse historique, une culture qui donne naissance chaque jour à de nouvelles oeuvres littéraires qui, une fois traduites, attirent l’attention des milieux intellectuels et culturels de par le monde.
Il est vrai que l’intérêt accordé par l’Etat à notre force douce ne se limite pas aux champions sportifs. Dernièrement, l’Etat s’est intéressé aux artistes et entend leur procurer une assurance médicale, mais on remarque que les écrivains ne bénéficient pas du même intérêt. Les écrivains sont les leaders de la force douce égyptienne, ils représentent la conscience de la nation, sa pensée et symbolisent la culture nationale.
Tout au long de l’histoire de l’Egypte, ce sont les intellectuels, avec à leur tête les écrivains, qui ont bâti la civilisation grâce à la pensée, la littérature et l’architecture. Et Aujourd’hui, les intellectuels sont la force qui affronte l’extrémisme et le terrorisme. Ils oeuvrent en vue de réaliser la renaissance à laquelle nous aspirons.
C’est avec une grande tristesse que j’ai lu un article d’Ibrahim Abdel-Méguid intitulé « Ceci intéressera peut-être quelqu’un » dont je publie un extrait : « Je m’excuse à l’avance parce que je vais parler de moi-même. Peut-être que cela n’intéresse personne, mais je vais essayer autant que possible de passer du privé au général. Il y a près de 2 ans, j’ai senti qu’il y avait quelque chose d’anormale à mon genou droit et j’ai failli tomber plusieurs fois. Pendant 2 ans, j’ai vu plusieurs médecins, je suis tombé et j’ai eu la jambe dans le plâtre, puis j’ai fait des séances de physiothérapie mais il n’y a eu aucune amélioration. Un an après, j’ai tout arrêté, j’ai détesté les médicaments, j’ai arrêté d’aller chez les médecins et je marchais à l’aide de béquilles.
Je suis resté à la maison soumis à un triple emprisonnement à cause du coronavirus à l’extérieur, de l’incapacité de bouger à l’intérieur et de l’inefficacité du réseau Internet dans le quartier où je vis. Le balcon est devenu tout mon monde et je me suis adapté à cette vie. Les événements qui se déroulaient autour de moi ont augmenté mon dépaysement, j’ai senti que ce n’était pas cette vie que j’espérais et j’ai souhaité partir. Puis subitement, j’ai décidé de me ressaisir et de ne rien laisser tomber. Et donc après 2 ans, j’ai recommencé à rendre visite aux médecins, aux centres de physiothérapie, aux laboratoires d’analyses médicales et aux centres de radiologie.
Tout ceci a abouti à la découverte d’une tumeur autour d’une vertèbre, nécessitant une intervention chirurgicale. J’ai commencé alors à rassembler mes articles, mes oeuvres littéraires et un roman que je n’ai pas complété avant un départ probable et qui ne me dérangeais pas, puisque la plupart des gens que j’ai connus sont déjà partis.
Je suis convaincu que le monde ne s’arrête pour personne. L’écriture m’a procuré beaucoup de plaisir et de satisfaction et je remercie Dieu de m’avoir accordé ce talent. Est-ce que quelqu’un à qui Dieu a accordé ce qu’il y a de plus beau au monde doit s’inquiéter en allant à sa rencontre ? ».
Ibrahim Abdel-Méguid, permettez-moi de ne pas être d’accord avec vous. Les soins accordés aux avant-gardes de notre force douce parmi les écrivains et les hommes de lettres ne sont pas une affaire personnelle, mais une affaire publique, voire une affaire de sécurité nationale. Car les écrivains sont les protecteurs de l’identité culturelle.
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