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Où va la transition au Soudan ?

Hicham Mourad , Lundi, 11 octobre 2021

Le Soudan traverse une phase délicate de sa transition démocratique, marquée par la multiplication des conflits et la fragmentation des forces politiques. Le 6 octobre, 20 partis et mouvements armés ont adopté une nouvelle « Charte d’accord national », brisant le bloc civil, les « Forces de la Liberté et du Changement » (FLC), qui était à l’origine du renversement de l’ancien président Omar Al-Béchir.

Où va la transition au Soudan ?

Ces formations qui se sont séparées des FLC sont connues sous le nom de « Mouvement de réforme », du nom du Comité de réforme des FLC qui avait exigé la destitution du Conseil central de la coalition car il l’accusait d’avoir pris les FLC « en otage » à son avantage et au profit d’intérêts personnels. Le Conseil central comprend 40 partis, dont le parti Al-Oumma, le Congrès soudanais, le Baas arabe, le Rassemblement fédéral et l’Association des professionnels. Lorsque sa demande a été rejetée, le Mouvement de réforme a fait défection, créant la Charte d’accord national. Curieusement, plusieurs forces et partis, qui ont pris part à la vie politique sous Al-Béchir, ont signé la charte.

Des scissions sont apparues au sein des FLC en avril dernier lorsque le parti Al-Oumma a annoncé qu’il gelait ses activités dans la coalition. Le Parti communiste lui a emboîté le pas. En mai, le Mouvement de réforme a retiré sa confiance au Conseil central, exigeant le remplacement de la « composante civile » au Conseil de souveraineté qui gouverne le Soudan depuis le renversement du régime d’Al-Béchir en avril 2019. Ce conseil est partagé entre des membres militaires et civils pendant une période de transition qui doit se terminer par la tenue d’élections libres en 2023.

Or, les rapports entre ces deux composantes sont souvent marqués par la tension et le manque de confiance. La découverte d’une tentative de coup d’Etat militaire contre le gouvernement civil intérimaire le 21 septembre a mis à nu la fracture qui sépare civils et militaires au sein du conseil. L’armée a alors reproché aux civils la mauvaise gestion de l’économie et du processus politique et le fait d’être consumés par des querelles internes motivées par des intérêts personnels. Le général Abdel-Fattah Al-Burhan, président du Conseil de souveraineté, et le général Mohamad Dagalo, vice-président du conseil et chef des « Forces de soutien rapide », ont ainsi blâmé les forces civiles pour la crise du pays et condamné leur manque de respect envers les militaires. Pour leur part, des responsables civils ont accusé les chefs militaires de retarder la mise en place des réformes démocratiques pour garder le pouvoir et leurs privilèges. Un membre civil du conseil, Aïcha Al-Saïd, a démissionné en mai dernier pour protester contre la « marginalisation des civils au sein du conseil ». Le premier ministre, Abdallah Hamdok, a de son côté souligné la nécessité d’une réforme du secteur de la sécurité. Cette exigence se heurte à une forte résistance de l’aile militaire, en particulier de Dagalo qui refuse d’intégrer sa milice dans l’armée.

Les auteurs de la tentative de coup d’Etat, des militaires proches de l’ancien régime, voulaient capitaliser sur le mécontentement populaire croissant contre les mauvaises conditions de vie. En effet, le soutien au gouvernement de transition s’est affaibli, en grande partie à cause des réformes économiques qui ont fait payer un lourd tribut à de nombreux ménages. Les putschistes ont tenté de bloquer l’accès aux ports de l’est du pays, scènes de récentes manifestations anti-gouvernementales. Ils espéraient que les protestataires se rallieraient à leur cause. Ces derniers, appartenant aux tribus de Béja, dénoncent la négligence gouvernementale de leurs revendications concernant notamment le partage du pouvoir et des richesses et leur juste représentation au sein du gouvernement. Pour exercer des pressions sur Khartoum, ils ont bloqué l’accès au principal port du pays sur la mer Rouge, Port-Soudan, arrêtant le flux des importations et des exportations, y compris les produits de base comme le blé, le carburant et les médicaments essentiels.

Les putschistes avaient cependant mal interprété l’état d’esprit national. Malgré ses griefs vis-à-vis du gouvernement civil, le Soudanais ordinaire ne semble enclin ni à une autre révolution, ni au retour à un régime autoritaire. Le haut commandement militaire ne semble pas non plus disposé à se joindre à une mutinerie générale. Les risques pour la transition démocratique sont cependant réels en raison, entre autres, du retard dans la mise en place d’institutions-clés, notamment le Conseil législatif. La création de celui-ci est nécessaire pour donner une légitimité populaire et une direction politique aux décisions du gouvernement de transition et offrir un espace pour la participation d’autres acteurs civils et la canalisation de leurs revendications. Son absence fragilise la transition et la rend vulnérable à des actes de sabotage comme la tentative de coup d’Etat.

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