Les Etats-Unis reprennent pied en Libye. L’Administration de Joe Biden a lancé une offensive diplomatique visant à rattraper son retard dans ce pays du nord de l’Afrique, déchiré par une guerre civile depuis 2011, et à faire face aux acteurs internationaux qui y disposent jusqu’ici de présence militaire, notamment la Russie dont les mercenaires du groupe de sécurité privé Wagner y sont déployés depuis 2018.
Une série d’actions prouve ce retour progressif. Le 28 septembre, le Comité militaire conjoint libyen 5 + 5 a tenu une réunion dans la capitale Tripoli en présence, pour la première fois, de deux responsables américains, le général Stephen Townsend, chef du Commandement en Afrique, et Richard Norland, envoyé spécial américain en Libye. La réunion était aussi l’occasion de la première rencontre publique entre des responsables américains et des représentants de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), dirigée par Khalifa Haftar, qui contrôle l’Est libyen, ainsi que des parties du sud du pays.
Le même jour, la Chambre américaine des représentants a adopté un projet de loi de « stabilisation de la Libye » qui prévoit des sanctions contre les acteurs étrangers soutenant des factions rivales en Libye. La loi cherche à dissuader les ingérences étrangères en imposant des sanctions à ceux qui déploient des mercenaires, violent l’embargo de l’Onu sur les armes et commettent des violations des droits de l’homme en Libye. Il s’agit surtout, pour les Etats-Unis, de la Russie et de la Turquie qui soutiennent militairement les deux camps libyens opposés – respectivement la Chambre des députés basée à Tobrouk (est), soutenue par l’ANL, et le gouvernement intérimaire d’unité nationale à Tripoli (ouest) –, risquant ainsi de faire dérailler le fragile processus de transition en cours. Il n’est pas fortuit à cet égard que le vote de la Chambre basse du Congrès est intervenu une semaine après que le parlement libyen eut voté une motion de censure contre le gouvernement du premier ministre par intérim, Abdelhamid Dbeibah, mettant en péril les prochaines élections générales prévues le 24 décembre.
Les actions précédentes s’ajoutent à la nomination le 12 mai par le Département d’Etat de son premier envoyé spécial pour la Libye, Richard Norland, également ambassadeur américain dans ce pays depuis août 2019. Cette double affectation s’explique par le fait que les Etats-Unis ont fermé leur ambassade à Tripoli et l’ont transférée à Tunis en 2014 en raison de la détérioration de la sécurité dans le pays. Le 18 mai dernier, le secrétaire d’Etat adjoint américain pour le Proche-Orient, Joey Hood, s’est rendu à Tripoli où il a rencontré le premier ministre, le chef du Conseil de la présidence, Mohamed Al-Menfi, et la ministre des Affaires étrangères, Najlaa Al-Mangoush. Il était le plus haut responsable américain à visiter le pays depuis 2014.
Ces actions contrastent avec l’approche désintéressée de l’Administration de Donald Trump, qui a choisi de rester à l’écart des développements en Libye, y compris vis-à-vis de l’intervention militaire indirecte de la Russie, un rival majeur des Etats-Unis sur la scène internationale. Il est à noter à cet égard que le poste d’envoyé spécial américain en Libye, détenu par Jonathan Winer de 2013 à 2016, avait été laissé vacant sous Trump. En revanche, les Etats-Unis sous Biden, qui font de l’endiguement de l’influence internationale de leurs rivaux mondiaux majeurs, la Chine et la Russie, leur priorité, cherchent à prendre l’initiative et se veulent offensifs contre la présence russe en Libye. Dès l’investiture de Biden en janvier, Washington a appelé au « retrait immédiat » des forces russes et turques de Libye. De même, Richard Norland ne manque pas les occasions pour mettre en garde contre « les dangers de la Russie en Libye ».
Outre la volonté de « chasser » le rival russe et mettre fin aux autres ingérences étrangères, les Etats-Unis convoitent le marché de reconstruction de la Libye, surtout sa richesse pétrolière. Le pays détient les premières réserves de brut d’Afrique, mais sa production et ses ventes à l’étranger restent très perturbées par le conflit. C’est pour cette raison que le gouvernement cherche à fortement augmenter sa production de 40 % l’année prochaine, la Banque Centrale libyenne qualifiant cette augmentation d’« impérative ». A cette fin, Tripoli a pris des contacts avec les sociétés pétrolières américaines pour qu’elles retournent investir et opérer sur le marché libyen. Plusieurs firmes énergétiques américaines avaient pris des participations dans des champs pétroliers libyens dans le passé, dont ConocoPhillips, Marathon Oil Corp. et Occidental Petroleum Corp. Mais plusieurs ont vendu leurs actifs après le début de la guerre. C’est dans le but de paver la voie au retour des sociétés américaines qu’il faut également comprendre les démarches des Etats-Unis pour stabiliser la Libye et y affaiblir leurs rivaux.
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