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Nostalgie ou amnésie ?

Mohamed Salmawy , Lundi, 20 septembre 2021

Récemment, j’ai remarqué dans les médias sociaux que nombreux sont ceux qui publient des scènes de films anciens ou des photos remontant à l’époque royale. Cette attitude reflète une nostalgie et nous donne l’impression que tout était idéal à cette époque. L’Etat était riche, la démocratie prévalait, les partis étaient actifs, le roi était adoré, les femmes pouvaient porter les modèles parisiens derniers cris et les rues étaient propres. Cette image rose et imaginaire du pays ne s’est pas associée à d’autres phases.

Mohamed Salmawy

De prime abord, nous devons affirmer que la nostalgie est un sentiment humain naturel inné. Il existe dans toutes les sociétés et dans toutes les phases de l’Histoire. J’ai eu la chance de voir au Musée de Turin en Italie un ancien texte hiéroglyphique égyptien comportant un beau contenu littéraire reflétant la nostalgie que ressentait son auteur, qu’on ignore, vis-à-vis d’une époque révolue où tout était beau et prospère.

Mais si la nostalgie est un phénomène humain naturel, il n’est pas du tout normal d’en être épris et de la considérer loin des événements de l’Histoire et de la réalité. A ce moment-là, elle devient une pure illusion et n’a plus rien à voir avec l’Histoire. Est-il vrai que l’époque royale ou n’importe quelle autre phase de l’Histoire étaient dénuées de problèmes ? Les films anciens en noir et blanc réalisés par Mohamad Karim par exemple nous présentent les femmes de l’élite portant les vêtements de haute couture et fumant la cigarette alors qu’elles se dandinaient sur les mélodies de Mohamad Abdel-Wahab. Par contre, ils ne nous présentent pas la paysanne égyptienne, l’analphabète, celle qui a vécu la même époque et épaulait son mari. Il ne s’agit pas là d’une critique infligée à ces films. L’art est libre de transmettre ce qui sert son objectif artistique, qui peut être réaliste ou fabriqué de toutes pièces. Mais la critique est d’alterner cette réalité artistique avec la réalité historique ou bien de juger une quelconque époque de l’optique de l’art. Nous pouvons tout à fait prendre plaisir à n’importe quelle production artistique, mais lorsqu’il est question de faits historiques, notre référence doit être différente.

Il est vrai que l’époque royale a connu la démocratie, avec un parlement élu qui s’érigeait parfois contre la volonté du palais royal. Mais le roi avait les prérogatives de dissoudre le parlement et d’appeler à de nouvelles élections. Par ailleurs, le pays était sous l’occupation militaire qui amenait le délégué britannique à transpercer le palais royal par les chars lorsqu’il voulait dicter au roi la nomination du gouvernement que désirait sa majesté le roi de la Grande-Bretagne.

Nous avions de belles princesses élégantes et il suffit de voir les reines et princesses d’Angleterre, d’Espagne et des Pays-Bas pour voir que les princesses de la famille de Mohamad Ali étaient les plus belles. Mais la société était rongée par la corruption à tel point que les ministères étaient légués à ceux qui payaient le plus, selon le témoignage de ceux qui avaient vécu à cette époque.

Là, je ne vais pas uniquement citer le témoignage du président Sadate, qui avait déclaré dans un discours à l’Assemblée du peuple que les hommes de cette époque étaient maltraités par les Anglais et qu’ils adoraient ce genre de traitement. A tel point que Sadate a dit à l’ambassadeur britannique, à l’intérieur du siège de l’ambassade, que l’occupation britannique avait raison de traiter les pachas de cette époque aussi brutalement. Mais je reviens au témoignage d’un pôle wafdiste, le premier ministre Moustapha Al-Nahas. J’ai pu lire récemment son discours prononcé au cours de la célébration du comité général du Wafd à Alexandrie à la mémoire du zaïm Saad Zaghloul, le 23 août 1952, et qui avait été publié le lendemain par le journal Al-Masry, porte-parole du Wafd, dans lequel il parlait de la corruption de cette époque. Il disait littéralement que « la corruption avait rongé la société. Dieu sait que je conseillais constamment le roi. Mais il a dénié et a persisté dans son entêtement et avait imposé des gouvernements successifs sans aucune légitimité constitutionnelle ou aucun intérêt à l’égard du peuple. Epaulé de ses partenaires qui étaient tout aussi corrompus et avides de pouvoir et d’argent ».

Le chaos avait atteint son apogée et le peuple se demandait s’il y avait un moyen d’y mettre un terme. Dieu a alors répondu à l’appel des millions et a réalisé leur espoir, à travers une poignée de militaires qui ont fait leur mouvement audacieux et salutaire. Au milieu des acclamations des foules, l’armée a renversé le tyran et le peuple a commencé à respirer après une dépression et une injustice incroyables sous les coupes desquelles il a vécu de longues années amères.

La nostalgie est quelque chose de beau, mais quand ce sentiment nous rend aveugles face à certains faits de l’Histoire, elle devient une sorte d’amnésie.

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