La prise éclair de pouvoir par les Talibans en Afghanistan a pris de court les principales puissances du monde arabe. La chute brutale, comme un château de cartes, du pouvoir afghan, avant même le retrait total des forces américaines, a montré l’extrême fragilité du régime mis en place par les Etats-Unis. Le repli de ces derniers a renforcé la perception parmi leurs alliés arabes que Washington n’est plus un partenaire fiable. La confiance dans les Etats-Unis a déjà commencé à s’effriter depuis l’époque de l’ancien président Barack Obama lorsqu’il avait annoncé fin 2011 son fameux « pivot » vers l’Asie-Pacifique. Ce sentiment s’est accentué pas d’autres mesures prises par Washington, dont l’accord conclu le 29 février 2020 par Donald Trump avec les Talibans en fonction duquel les Etats-Unis retirent leurs troupes en échange d’une garantie du mouvement rebelle qu’il ne laisserait pas l’Afghanistan devenir un sanctuaire pour des terroristes.
Cet engagement des Talibans est devenu le point focal des principales puissances arabes qui appréhendent son respect par le mouvement fondamentaliste après son retour triomphal au pouvoir le 15 août. La victoire des Talibans est susceptible d’enhardir les islamistes arabes de tous bords. Plusieurs groupes affiliés à Al-Qaëda ont salué le succès des Talibans. La victoire de ces derniers pourrait également encourager des milliers de terroristes qui se sont effondrés après la désintégration de Daech. Ces extrémistes religieux aspireraient à trouver un soutien à leur cause dans « l’Emirat islamique d’Afghanistan », comme ce fut le cas pendant le premier passage des Talibans au pouvoir de 1996 à 2001.
Mais les Talibans d’aujourd’hui ne sont probablement pas ceux des années 1990. Ils ont appris la leçon de leur manque d’expérience dans l’exercice de pouvoir entre 1996 et 2001. Ils cherchent activement aujourd’hui à améliorer leur image dans le pays et à l’étranger, même si c’est un défi de taille. Premièrement, ils se sont engagés à renoncer à héberger des terroristes ou des groupes armés non afghans. Deuxièmement, ils ont annoncé être prêts à prendre langue avec toute puissance étrangère, même s’il s’agissait d’un ennemi. Troisièmement, ils ont promis de respecter les droits des femmes, dans le cadre de la charia. Quatrièmement, ils ont indiqué qu’ils étaient ouverts aux entreprises et aux investissements étrangers.
Ce dernier point semble être parmi leurs principales faiblesses. Les Talibans seraient à court de liquidités pour gouverner le pays étant donné que les réserves de devises de l’ancien gouvernement sont gardées aux Etats-Unis, hors de leur portée. Cette situation qui risque, en cas de persistance, de se retourner contre la popularité des Talibans est susceptible de pousser ces derniers à la modération en vue de rassurer les potentiels bailleurs de fonds, y compris les pays arabes du Golfe qui expriment leurs inquiétudes quant aux vraies intentions du mouvement fondamentaliste.
D’aucuns estiment que les assurances des Talibans ne sont que des moyens visant à rassurer les pays voisins et la communauté internationale dans le but d’éviter toute réaction hostile pendant que le mouvement extrémiste assied son pouvoir dans le pays. D’autres facteurs plaident cependant en faveur du contraire : plutôt que de risquer une répétition de l’isolationnisme des années 1990, un « Emirat » taliban serait bien avisé de rechercher une légitimité internationale pour obtenir un soutien financier et éviter d’être étranglé. Pour y parvenir, les dirigeants talibans, et leur soutien parmi la communauté pachtoune (42 % de la population), pourraient ainsi rechercher à inclure les autres minorités ethniques du pays, parmi lesquelles les Tadjiks (27 %), les Ouzbeks (9 %) et les Hazaras (9 %). Contrairement à leur premier passage au pouvoir, les Talibans ne semblent pas insister aujourd’hui sur un monopole du pouvoir politique, préférant diriger un gouvernement plus inclusif. C’est à ce titre qu’ils ont promis de laisser une plus large partie de la population gouverner avec eux cette fois-ci.
Certes, un gouvernement à domination talibane est susceptible de présenter de nombreuses similitudes idéologiques avec son prédécesseur de 1996-2001, mais pourrait devenir plus modéré au fil du temps par nécessité. Si les dirigeants talibans procèdent, comme ils le disent, à une approche plus inclusive, ils seraient amenés à ménager les autres communautés, qui n’épousent pas forcément leurs idées fondamentalistes, et à accepter à ce titre de suivre une politique plus respectueuse des droits des minorités ethniques et religieuses, ainsi que des libertés civiles, des droits des femmes et des enfants.
Les principales puissances arabes, dont l’Egypte et l’Arabie saoudite, qui s’efforcent de contenir l’islam politique et combattre les groupes terroristes, adoptent pour le moment une attitude attentiste et prudente face au retour des Talibans au pouvoir. Elles suivraient une approche pragmatique qui laissera la porte ouverte à une reconnaissance du régime de Kaboul et à l’établissement de liens multiformes, notamment économiques, dans le but d’encourager les Talibans au respect de leur engagement à ne pas soutenir des islamistes arabes. Le levier financier dont disposent les monarchies pétrolières du Golfe serait ici un atout majeur.
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