Deux ans et demi après le déclenchement de la révolution du Jasmin qui a renversé le régime du président Ben Ali, la Tunisie est plongée dans une grave crise politique. L’assassinat fin juillet de l’opposant Mohamed Brahimi a ravivé la tension entre les islamistes d’Ennahda au pouvoir et l’opposition laïque. Des dizaines de milliers de Tunisiens ont manifesté cette semaine dans la banlieue de Tunis pour réclamer le départ du gouvernement. Les manifestants, brandissant des portraits des opposants Brahimi et Chokri Belaïd, l’autre opposant tué il y a six mois, scandaient : « Le peuple veut la chute du régime ». L’opposition, représentée par les deux coalitions du Front populaire (gauche) et de l’Union pour la Tunisie (couvrant un spectre allant des socialistes aux libéraux), mais aussi par le puissant syndicat UGTT, la Ligue des droits de l’homme, l’ordre des Avocats et même les organisations patronales, réclame la démission de l’actuel cabinet dirigé par Ennahda et la formation d’un gouvernement restreint de salut national composé de personnalités indépendantes pour faire sortir le pays de la crise. Elle juge le gouvernement islamiste responsable de l’essor de la mouvance salafiste dont les actions violentes déstabilisent régulièrement le pays depuis la révolution de janvier 2011. Les dirigeants d’Ennhda dénoncent, eux, une « contre-révolution ».
Après le renversement du régime des Frères musulmans en Egypte, le gouvernement islamiste d’Ennahda est à son tour profondément secoué. Pour les islamistes tant en Egypte qu’en Tunisie, c’est un constat d’échec. Propulsés sur le devant de la scène politique au lendemain du Printemps arabe, les mouvements islamistes n’ont pas compris l’esprit et la portée des révoltes arabes. Révoltes auxquelles ils n’ont d’ailleurs que très peu contribué. Ainsi, aussi bien en Egypte qu’en Tunisie, le pouvoir islamiste a semblé être « déconnecté » des revendications révolutionnaires. Ce fut notamment le cas en Egypte. Après la chute de Moubarak, les Frères musulmans ont tenté de se rapprocher des militaires dans une tentative de faire tourner « à leur avantage » la période transitoire. Une fois au pouvoir, ils se sont alliés aux salafistes pour faire adopter une Constitution controversée et contestée par une partie de la population. Mais au passage, les Frères ont oublié les révolutionnaires et leurs revendications. Au lieu de consolider les principes de la démocratie, les Frères ont cherché d’abord à consolider leur pouvoir. Une série d’autres erreurs a discrédité la confrérie qui n’a pas respecté sa promesse de ne pas présenter de candidat à la présidence. Résultat : une perte tangible de popularité. En Tunisie, Ennahda a lui aussi prouvé, ces derniers mois, son incapacité à vivre au niveau des aspirations révolutionnaires. Dans un pays qui a été le catalyseur des révoltes arabes et qui possède une élite intellectuelle, des jeunes diplômés tournés vers la modernité et des femmes qui jouent un rôle important, les islamistes d’Ennahda se sont enfermés dans des discours sur le « rôle complémentaire de la femme au sein de la société ». Pourtant, tous les atouts étaient de leur côté : des partenaires de gouvernement prêts à défendre une politique élaborée en commun et un consensus national autour d’une constituante qui aurait dû être élaborée en un an. Si les mouvements islamistes n’ont pas su négocier cette phase critique, c’est parce qu’ils ne se sont pas adaptés à la logique révolutionnaire.
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