Une guerre de l’ombre fait rage entre Israël et l’Iran: sabotage de navires en mer Rouge et dans le Golfe, frappes de missiles en Syrie, attaques contre les sites nucléaires iraniens. L’Etat hébreu a pris l’initiative de lancer cette guerre qui ne dit pas son nom, afin d’empêcher son ennemi juré de se doter de l’arme nucléaire, réduire son influence régionale et déjouer ses tentatives de fournir à son allié le Hezbollah libanais des armes avancées qui risqueraient d’être utilisées un jour contre lui.
Les manifestations de cette guerre ne manquent pas. Le 13 avril, un navire israélien a été attaqué dans le Golfe au large de Fujairah, aux Emirats arabes unis. L’attaque, la troisième contre un navire israélien, était en réaction à une explosion qui s’est produite le 6 avril au large du Yémen, en mer Rouge, à l’intérieur d’un navire militaire, le Saviz, appartenant au corps des Gardiens de la Révolution islamique. D’autres attaques avaient été menées contre des navires iraniens transportant du pétrole et des armes au régime syrien, allié de Téhéran. En Syrie, Israël poursuit sans relâche ses frappes aériennes pour empêcher que le Hezbollah, allié de Damas, ne se dote d’armes iraniennes de pointe. Le 7 avril, Israël a attaqué un dépôt d’armes de la milice chiite dans l’ouest de Damas. Trois semaines auparavant, il avait lancé des frappes aériennes près de la capitale syrienne qui visaient des dépôts de munitions utilisés par des milices soutenues par l’Iran. Le 11 avril, la centrale nucléaire iranienne de Natanz a été victime d’une attaque qui a provoqué un incendie et une panne d’électricité qui ont endommagé les centrifugeuses utilisées pour enrichir l’uranium. En juillet dernier, une attaque similaire à Natanz a provoqué un incendie détruisant une partie de l’installation. Le 27 novembre 2020, Mohsen Fakhrizadeh, un scientifique iranien soupçonné d’être à l’origine du programme de production d’armes nucléaires, a été tué dans une embuscade dans le nord de Téhéran. A l’instar de toutes ces attaques, Israël a été blâmé pour le meurtre.
D’habitude, Israël adopte une politique d’ambiguïté stratégique : ni confirmer, ni nier son implication dans de telles opérations de sabotage. Cette attitude fait partie d’une longue histoire de ciblage secret d’objectifs iraniens dans la région et sur le territoire de la République islamique. Mais il a été remarqué ces dernières semaines une quantité inhabituelle de fuites provenant de responsables de la sécurité israéliens non identifiés confirmant la responsabilité de leur pays dans les attaques maritimes et celle de Natanz. L’ancien premier ministre israélien, Ehud Olmert, a lui-même révélé des informations détaillées aux médias israéliens sur la nature de l’explosion de Natanz, affirmant qu’elle avait été causée par une bombe posée il y a plus d’une dizaine d’années. Ce changement de tactique est à l’évidence lié à l’ouverture à Vienne de pourparlers entre l’Iran et les grandes puissances, y compris les Etats-Unis, en vue d’un retour à l’accord nucléaire de 2015, duquel le président Donald Trump s’est retiré en mai 2018. Israël y est farouchement opposé. Le premier ministre Benyamin Netanyahu a déclaré qu’un retour à cet accord était une menace existentielle pour son pays, car il permettrait, selon lui, à Téhéran de se doter de l’arme nucléaire.
Israël cherche par l’intensification de ses attaques contre Téhéran et par les fuites sur sa responsabilité à provoquer ce dernier de façon à saboter toute possibilité de relance de l’accord de 2015 qu’il estime plein d’échappatoires permettant à la République islamique de poursuivre son programme nucléaire. Les attaques israéliennes sont toutefois bien mesurées et inférieures à un certain seuil de manière à ne pas susciter une réplique militaire iranienne d’envergure qui déclencherait un conflit régional.
La politique israélienne a eu pour effet de compliquer les négociations en cours car, en réaction à l’attaque de Natanz qui est intervenue 3 jours avant la reprise des pourparlers, Téhéran a annoncé qu’il élèverait l’enrichissement de l’uranium de 20 à 60%. L’annonce rapproche l’Iran du niveau de 90% nécessaire à la production de la bombe atomique. Le négociateur en chef iranien, Abbas Araghchi, a également annoncé que Téhéran installerait à Natanz des centrifugeuses plus performantes pour l’enrichissement de l’uranium.
Ironiquement, la politique israélienne fait le jeu des radicaux iraniens, y compris le puissant corps des Gardiens de la Révolution, opposés à tout accord avec les Etats-Unis sur le dossier nucléaire. Elle a fourni à ceux-ci un prétexte sans trop de coûts politiques pour poursuivre les infractions iraniennes à l’accord de 2015. Elle peut également limiter la force de persuasion que pourraient exercer la Russie et la Chine en vue de convaincre l’Iran d’accepter un compromis permettant de sauver l’accord nucléaire. Chaque attaque contre l’infrastructure nucléaire iranienne fournit aux conservateurs l’argument nécessaire pour dénigrer le gouvernement du président Hassan Rohani pour avoir négocié l’accord de 2015, auquel ils se sont fermement opposés dès le début. Elle incite également les radicaux à redoubler d’efforts pour pousser à l’extension du programme nucléaire du pays.
Alors que les modérés iraniens, dont le président Rohani, espèrent que des progrès rapides sur la levée des sanctions économiques imposées par Washington les aideront dans l’élection présidentielle du 18 juin, les tenants de la ligne dure s’opposent à tout accord rapide à Vienne qui pourrait profiter aux réformistes. Le guide suprême, Ali Khamenei, un conservateur qui a le dernier mot sur l’issue des négociations, ne semble pas lui-même favorable à une conclusion rapide des pourparlers, car il ne voudrait pas qu’un accord affecte les chances électorales des radicaux .
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