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Rapprochement égypto-soudanais

Mercredi, 10 mars 2021

L’Egypte et le Soudan ont procédé à un rappro­chement sensible ces derniers mois, impulsé par le litige avec l’Ethiopie sur le barrage de la Renaissance. Ce rapprochement a pris plusieurs formes, dont la multiplication des visites, dominées par la question du barrage, par les responsables des deux pays. C’est dans ce contexte qu’est intervenue la visite du président Abdel-Fattah Al-Sissi le 6 mars à Khartoum, où les deux pays ont rejeté « tout acte unilatéral » de l’Ethiopie visant à imposer un fait accompli. Cette visite fait suite à celle de la ministre soudanaise des Affaires étrangères, Mariam Al-Sadiq Al-Mahdi, au Caire, les 2 et 3 mars, durant laquelle les deux pays ont réaffirmé la nécessité de parvenir à un accord contraignant sur le fonctionnement du barrage éthiopien avant le deuxième remplissage du réservoir prévu en juillet.

L’intransigeance d’Addis-Abeba a progressive­ment poussé Khartoum à prendre des positions de plus en plus proches de celles tenues par Le Caire. Alors qu’il voyait dans la construction du barrage plusieurs avantages, dont la régulation des inonda­tions annuelles et l’achat d’électricité à prix avanta­geux, le Soudan commençait depuis l’éviction du président Omar Al-Bachir, en avril 2019, à expri­mer des craintes que ses propres barrages ne soient endommagés si aucun accord n’est trouvé avec l’Ethiopie. Le 6 février, le ministre soudanais de l’Irrigation, Yasser Abbas, a averti qu’un deuxième remplissage du barrage sans accord préalable constituerait une « menace directe pour la sécurité nationale soudanaise » et qu’il « menacera la vie de la moitié de la population du centre du Soudan, ainsi que l’eau d’irrigation pour les projets agri­coles et la production d’électricité à partir du bar­rage de Roseires (60 km de la frontière avec l’Ethiopie) ». Il a relevé que le barrage de Merowe (350 km au nord de Khartoum) perdrait 30 % de l’énergie électrique qu’il produit et que les stations d’eau potable seraient affectées.

L’Ethiopie, qui affirme avoir déjà atteint son objectif de première année pour le remplissage du réservoir du barrage, a récemment annoncé qu’elle procéderait au deuxième remplissage indépendam­ment du fait qu’un accord ait été conclu ou non avec les deux pays d’aval.

Pour sa part, Le Caire s’est rangé du côté de la proposition du Soudan, annoncée en février, sur la formation d’un quartette de médiateurs composé des Etats-Unis, de l’Union européenne, de l’Onu et de l’Union africaine pour aider les trois parties à parvenir à un accord. La proposition vise à élargir le rôle des parties extérieures en leur assignant celui de médiateurs au lieu de celui d’observateurs, comme c’était le cas jusqu’ici sous l’insistance d’Addis-Abeba. L’objectif est d’exercer davantage de pression sur ce dernier pour qu’il assouplisse sa position de façon à permettre la conclusion d’un accord tenant en compte les intérêts du Soudan et de l’Egypte. Cette dernière, constatant l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations depuis longtemps, avait auparavant proposé la médiation de parties extérieures, conformément à l’article 10 de la Déclaration de principe conclue en mars 2015. Mais l’Ethiopie, craignant les pressions des grandes puissances, a toujours refusé.

Le rapprochement égypto-soudanais s’étend au plan militaire : les deux gouvernements ont conclu le 2 mars un accord de coopération militaire portant sur la formation, la sécurisation de la frontière com­mune, la lutte contre le terrorisme et la tenue de manoeuvres conjointes. L’accord intervient au moment où le Soudan est en proie à un conflit fron­talier avec l’Ethiopie autour de la région soudanaise d’Al-Fashqa (sud-est). Le différend a éclaté en novembre, après que l’armée soudanaise avait lancé une campagne militaire pour reprendre le contrôle de terres agricoles soudanaises cultivées par des paysans éthiopiens depuis les années 1950. Le conflit armé entre les deux pays a donné lieu à plusieurs hostilités meurtrières.

Le chef d’état-major égyptien, Mohamed Farid, a déclaré que l’accord visait à faire face à toute situation d’urgence et que l’Egypte était prête à répondre aux demandes du Soudan, non seule­ment dans les domaines de l’armement, de la for­mation et du soutien technique, mais aussi dans la sécurisation de la frontière commune. En effet, la coopération militaire entre les deux pays recherche aussi à lutter contre la contrebande transfrontalière et l’infiltration de militants islamistes, actifs dans la région du Sahel, frontalière de l’ouest souda­nais. Le Soudan se situe à un point stratégique­ment sensible entre le Sahel et la côte de la mer Rouge. Cette zone est confrontée à de sérieuses menaces de sécurité, notamment le trafic d’armes et de drogue par des groupes militants, en particu­lier autour de la Somalie et de l’Erythrée ainsi que le Tchad, pris pour une étape de transition vers la Libye, en proie à une guerre civile.

Le Soudan, qui a été récemment retiré de la liste américaine des pays soutenant le terrorisme, s’est embarqué dans une campagne de lutte contre le militantisme islamiste, afin de mieux se position­ner comme une destination attractive pour les investissements étrangers. En agissant pour la sécurité et la stabilité, le Soudan espère attirer le soutien de la communauté financière internatio­nale à son économie en lambeaux.

La sécurité en mer Rouge est également un point de focalisation pour Khartoum et Le Caire en raison de la présence militaire étrangère croissante liée, entre autres, à la guerre civile au Yémen et à la sécurisation des approvisionne­ments énergétiques en provenance de la région du Golfe. C’est pour toutes ces raisons que l’Egypte et le Soudan ont organisé dès novembre des patrouilles militaires conjointes dans la zone frontalière et tenu pour la première fois le même mois des exercices militaires dans la base aérienne soudanaise de Marwa au nord de Khartoum. Des exercices en mer Rouge devraient suivre en 2021.

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