Après un début prometteur, les parties en conflit en Libye ont du mal à avancer vers un règlement politique. La semaine dernière, les membres du « Forum de dialogue politique » se sont séparés sans parvenir à un mécanisme pour choisir un gouvernement de transition qui conduirait le pays à des élections générales. Ce forum, constitué de 75 délégués représentant les deux parlements rivaux du pays et des indépendants triés sur le volet par l’Onu, était parvenu le 11 novembre à un accord sur la tenue d’élections présidentielle et parlementaires le 24 décembre 2021, ainsi que sur la formation d’un Conseil de présidence composé de trois membres et d’un premier ministre. Cette instance devrait remplacer le Conseil de présidence du Gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli et le premier ministre, Fayez Al-Sarraj.
Le forum reste toutefois bloqué sur le mécanisme de sélection du pouvoir exécutif, composé du Conseil de la présidence et du premier ministre, malgré la tenue de six réunions en ligne depuis sa première rencontre en face-à-face en Tunisie, le 9 novembre dernier. Les délégués ont fait douze propositions différentes. Mais celle qui semble recueillir le plus de soutien consiste à diviser les délégués en trois circonscriptions régionales (est, ouest et sud) et à charger chaque groupe de choisir son représentant au Conseil de présidence. La sélection du premier ministre relèverait de la compétence de l’ensemble du forum, avec deux options principales : l’une suggère que les blocs régionaux votent d’abord leur candidat préféré et de ne pas ouvrir le vote à la plénière qu’à un stade final ; l’autre propose d’ouvrir la sélection à la réunion plénière dès le départ. Outre la difficulté de parvenir à un consensus sur cette question, des « saboteurs » semblent se cacher au sein du forum, désireux de faire capoter le processus de nomination d’un nouvel organe exécutif car ils profitent du statu quo.
Sur le plan militaire, les parties belligérantes ont convenu d’un cessez-le-feu en octobre dernier à Genève, grâce à la médiation de l’Onu. Jusqu’à présent, la cessation des hostilités est respectée et certains éléments de la trêve ont été mis en oeuvre : les vols entre les villes rivales Tripoli et Benghazi ont repris et les combattants étrangers ont quitté les installations pétrolières, coeur de l’économie libyenne. Mais d’autres éléments-clés de l’accord sont restés lettre morte : le retrait des troupes rivales de leurs positions avancées, l’ouverture d’une grande route côtière à travers les lignes de front reliant les villes de Syrte et Misrata et le départ des forces étrangères et des mercenaires dans les trois mois. Faisant le constat de ce manque de progrès, l’envoyée par intérim de l’Onu en Libye, Stephanie Williams, a expliqué au Conseil de sécurité fin novembre que l’Armée Nationale Libyenne (ANL), sous la direction de Khalifa Haftar, installait de nouvelles fortifications, que les forces du GNA poursuivaient toujours leurs patrouilles dans les zones sous leur contrôle et que des avions-cargos débarquaient dans des bases que les deux parties avaient utilisées pour se ravitailler.
Enfin, au niveau économique, un accord négocié par l’Onu et les Etats-Unis en septembre dernier a permis la reprise de la production pétrolière qui a atteint 1,3 million de barils par jour début décembre. L’accord visait à mettre fin au blocus du secteur pétrolier à l’échelle du pays que Haftar avait imposé depuis janvier 2020, car il accusait la Banque Centrale basée à Tripoli de détourner les recettes de l’exportation du brut. Cependant, les craintes se multiplient quant à un nouvel arrêt de la production si un différend sur la gestion des revenus pétroliers n’est pas résolu. Le litige porte sur les procédures controversées de paiement des ventes de pétrole que le gouvernement basé à Tripoli et la National Oil Corporation (NOC) ont mises en place en septembre dernier. Conformément à cet accord, le GNA et la NOC ont modifié la gestion des revenus pétroliers, s’écartant de la procédure établie sous le régime de Muammar Kadhafi, par laquelle les compagnies pétrolières internationales effectuaient leurs paiements à la « Banque étrangère libyenne », qui transférait automatiquement l’argent dans les coffres de la Banque Centrale.
Depuis octobre dernier, la NOC conserve « temporairement » les recettes de l’exportation pétrolière sur son propre compte auprès de la Banque étrangère libyenne, en attendant la formation d’un nouveau gouvernement d’unité et la réunification de la Banque Centrale, divisée depuis 2015 en une banque internationalement reconnue, basée à Tripoli, et une succursale parallèle mais non reconnue internationalement à l’est, alliée aux rivaux du GNA. Ce mécanisme doit expirer fin décembre. Mais sans progrès substantiel dans les négociations politiques pour former un nouveau gouvernement ou réunifier la Banque Centrale, le sort de l’accord de septembre semble incertain. S’il est maintenu, comme le préfère la NOC, les recettes des ventes pétrolières resteront intactes sur le compte de la société pétrolière. Mais cela posera le problème de savoir comment, en l’absence de revenus qui lui reviennent, la Banque Centrale s’acquittera de ses obligations budgétaires. Si au contraire le mécanisme de paiement précédent est rétabli à la fin de l’année, comme le souhaite la Banque Centrale de Tripoli, l’ANL pourrait réimposer son blocus pétrolier.
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