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Macron, l’islam et la politique

Dimanche, 11 octobre 2020

Le discours, le 2 octobre, du président français Emmanuel Macron sur l’islam radical a soulevé maintes réactions, notamment de la part d’Al-Azhar, principale institution de l’islam sunnite dans le monde. Al-Ahram Hebdo présente ici deux points de vue sur la question

Le récent discours du président français, Emmanuel Macron, prononcé le 2 octobre concernant le projet de loi contre le « séparatisme islamiste » a provoqué un tollé dans le monde islamique. Macron a parlé des menaces auxquelles la France fait face dans le contexte de la montée de l’islam radical, surtout après les 3 attaques terroristes perpétrées en 2020 en France et qui ont fait que la France est le premier pays d’Europe visé par le terrorisme. Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait annoncé, le 1er septembre, que « 8 132 personnes en France sont sur les listes de prévention de la menace terroriste », affirmant que « la menace terroriste d’origine sunnite reste le principal défi en France ». Une menace qui a poussé l’Etat français à mettre en place de nouvelles politiques susceptibles de freiner la montée du discours fanatique, ce qui est certes légitime.

Le véritable problème des récentes déclarations du président français revient à la faiblesse de son discours politique et au choix inexact de certains termes, ce qui a donné lieu à de diverses interprétations et à un amalgame clair entre l’islam modéré et le radicalisme extrémiste, entre la lutte contre le terrorisme et l’offensive contre l’islam. Un amalgame mis au grand jour par les propos de Macron lorsqu’il a dit que « l’islam vit aujourd’hui une crise partout dans le monde ». Une phrase qui laisse la porte ouverte à beaucoup d’interprétations, surtout que le président français a aussi dit que la France lutte contre « le séparatisme islamiste qui cherche à instaurer un régime parallèle à celui du régime républicain ».

Des propos qui justifient l’indignation d’Al-Azhar, plus haute institution sunnite du monde islamique, qui, en réplique aux propos de Macron sur l’islam, a publié un communiqué dénonçant « des déclarations qui sapent les efforts conjoints destinés à établir un dialogue entre l’Orient et l’Occident et à ancrer les principes de coexistence pacifique entre les religions ». Des efforts menés par Al-Azhar depuis des années avec le Vatican et qui ont été couronnés par la création du « Comité de la fraternité humaine » en 2019 qui est un comité international indépendant regroupant des experts et des dignitaires dans le domaine des cultures et du dialogue interreligieux. C’est sur la base de cette initiative qui vise à répandre la tolérance religieuse que le grand imam d’Al-Azhar, cheikh Ahmad Al-Tayeb, a mis en garde contre les déclarations du président Macron qui pourraient « déchaîner la colère de plus de 2 milliards de musulmans dans le monde » et « favoriser la propagation d’un discours de haine contre les musulmans ». Ces craintes sont aussi justifiées et légitimes.

Au-delà des mots

Si nous lisons les déclarations du président français dans le contexte de son discours et dans le contexte de ses positions à l’égard des pays musulmans, nous constatons qu’il ne s’agit évidemment pas d’une offensive contre l’islam. Macron a toujours soutenu les pays arabes et musulmans de tendance modérée, notamment l’Egypte, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite avec lesquels il coopère en matière de lutte contre le terrorisme. Macron n’adopte donc pas une position hostile à l’égard de l’islam en tant que religion. Par ailleurs, les propos de Macron sont dits dans le cadre d’un discours sur son plan de lutte contre « les tendances séparatistes », c’est-à-dire toutes les tendances extrémistes qui instrumentalisent la religion pour remettre en cause les principes républicains. Une cause française légitime.

Les racines du mal

Macron, l’islam et la politique
Le président Emmanuel Macron reçu par le grand imam Ahmad Al-Tayeb au siège d'Al-Azhar, en janvier 2019.

Trois points peuvent donc nous aider à identifier les origines de cette controverse. Tout d’abord, on ne peut pas nier la montée du racisme contre l’islam dans la société française, en particulier, et en Occident en général, surtout après les attaques terroristes de ces dernières années. Ce qui a favorisé la diffusion du discours de la droite en Occident et amplifié le phénomène de l’islamophobie, entraînant des comportements racistes et des attaques terroristes contre des musulmans vivant en Occident. Il convient de rappeler l’attaque terroriste contre une mosquée en Nouvelle-Zélande qui a visé des fidèles en prière.

Le deuxième point, c’est que l’Etat français a le plein droit d’enraciner les principes de laïcité et les principes républicains. Mais il faut souligner que la nature de cette laïcité française a fait que la France est le pays occidental qui compte le plus de racisme à l’égard des musulmans. Le concept français de la laïcité est très rigide et va au-delà de la définition traditionnelle de ce terme qui signifie la séparation entre la religion et l’Etat, pour établir une fusion entre toutes les cultures et la culture française. La France est surtout obsédée par tout changement identitaire et la composition de la démographie du pays et cela la pousse parfois à adopter des positions plus racistes que les autres pays occidentaux à l’égard des 6 millions de musulmans qui vivent sur son sol. Ceci contredit les principes mêmes de laïcité qui défend le respect de l’autre et ses croyances. Le troisième point à reconnaître est qu’il existe effectivement des tentatives de séparation de la part de certains groupes islamistes en Occident qui cherchent à imposer leur agenda. C’est le cas en Belgique, où des groupes islamistes ont tenté de mener un coup d’Etat et de proclamer un Etat islamique. La France craint qu’un tel scénario ne se reproduise sur son territoire.

On peut donc conclure que la controverse sur les propos de Macron et la réaction d’Al-Azhar ne résident pas dans la loi que le président français envisage de promulguer. Il s’agit plutôt d’une mésentente favorisée par les propos un peu trop généraux de Macron sur l’islam et le manque d’une compréhension profonde, de la part des institutions religieuses, de la réalité de la situation en France. Cette mésentente peut entraîner davantage d’extrémisme réciproque en Occident entre la droite chrétienne extrémiste et les islamistes radicaux. C’est pourquoi il est impératif de mettre en place un mécanisme de dialogue interreligieux et de valoriser le rôle de la diplomatie sur ce dossier entre les pays islamiques et les pays occidentaux .

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