Les parties rivales en Libye, le Haut Conseil d’Etat basé à Tripoli et le parlement siégeant à Tobrouk (est) sont parvenues à l’issue de 5 jours de négociations tenues du 6 au 10 septembre dans la ville de Bouznika, au Maroc, à un accord préliminaire sur des questions-clés, notamment l’organisation d’élections et l’unification des deux gouvernements rivaux, ainsi que sur les critères de nomination des dirigeants de la Banque Centrale, de la Société nationale du pétrole et des forces armées, qui étaient parmi les principales questions litigieuses. Les parties se sont également entendues sur la répartition du pouvoir au sein du Haut Conseil d’Etat entre les trois régions géographiques du pays, la Tripolitaine (nord-ouest), la Cyrénaïque (est) et le Fezzan (sud-ouest). Des sources ont révélé qu’une proposition avait été avancée pour la mise sous supervision internationale des ports pétroliers du pays qui continuent d’être contrôlés par l’Armée Nationale Libyenne (ANL) basée à l’est, sous le commandement de Khalifa Haftar. Une atmosphère positive a régné sur les pourparlers, ce qui a conduit à l’annonce de leur reprise dans la dernière semaine de septembre au Maroc pour finaliser les mécanismes qui garantiraient la mise en oeuvre et l’activation de l’accord.
Parallèlement aux pourparlers au Maroc, des « consultations » ont eu lieu à Montreux, en Suisse, du 7 au 9 septembre entre les parties prenantes libyennes sous le parrainage de la Mission des Nations-Unies en Libye, dirigée par Stephanie Williams. Les entretiens ont abouti à un accord sur une feuille de route pour une solution globale au conflit, disposant la tenue d’élections présidentielle et parlementaires à l’issue d’une période de 18 mois, sur la base d’un cadre constitutionnel convenu. Cette période débuterait à la suite de la réforme du Haut Conseil d’Etat et de la mise en place d’un gouvernement d’union représentatif dédié à la fourniture des services à la population et à la création des conditions nécessaires à la tenue d’élections générales.
Les réunions entre les protagonistes libyens faisaient suite à des appels séparés lancés fin août par le premier ministre du Gouvernement d’union nationale (GNA), Fayez Al-Sarraj, et le président du parlement de Tobrouk, Aguila Saleh, appelant à la fin des hostilités et à des élections nationales. Ces appels sont intervenus après les derniers développements sur le terrain et la menace de l’Egypte d’intervenir militairement si une « ligne rouge » Syrte-Al-Jufra est dépassée par les forces du GNA soutenues par la Turquie. L’impasse militaire qui s’est ensuivie a incité Al-Sarraj et Saleh, sous l’impulsion de leurs alliés régionaux et internationaux, à décréter un cessez-le-feu, prélude au lancement d’un processus de réconciliation nationale. Ils ont également appelé à l’établissement d’une zone démilitarisée dans la ville contestée de Syrte et à la reprise de la production pétrolière. Ces objectifs ont tous été bien accueillis par l’Onu, les voisins régionaux et les puissances occidentales fatiguées d’un conflit dans le flanc sud de l’Europe.
Les observateurs attribuent les résultats positifs des pourparlers aux pressions exercées par les Etats-Unis pour parvenir à un accord stable entre les parties rivales avant la fin de la mission de l’envoyée par intérim de l’Onu en Libye, la diplomate américaine Stephanie Williams, qui sera probablement remplacée par un nouvel envoyé onusien au début de la prochaine année. Washington aurait fait à cet effet des propositions qui visent à faire retirer l’ANL, alliée du parlement de Tobrouk, du port stratégique de Syrte et des terminaux pétroliers, presque jusqu’aux limites de la ville d’Ajdabiya (150 km à l’ouest de Bengazi), et d’y déployer des éléments des milices de Misrata et des mercenaires syriens, affiliés au GNA. Ces derniers jours, il a été rapporté qu’un certain nombre de ces milices et mercenaires avaient reçu une formation rapide en matière de maintien de l’ordre dans le but de les présenter comme des membres des forces régulières du GNA qualifiés pour contrôler la zone contestée.
La pression américaine a également conduit le GNA à envoyer une délégation de haut niveau au Caire, ouvrant ainsi la voie à un règlement basé sur les équilibres géographiques préexistants. Cette délégation, qui s’est rendue inopinément au Caire le 1er septembre, comprenait des membres de la Chambre des représentants (dissidents du parlement de Tobrouk), des conseillers et d’autres personnalités indépendantes. C’est une première étant donné le climat d’acrimonie qui régnait entre Le Caire et Tripoli depuis l’intervention militaire d’Ankara en soutien au GNA en janvier dernier. Les prémices de ce changement étaient visibles dans les déclarations de responsables du GNA ces derniers jours, exprimant leur intention de communiquer positivement avec Le Caire et leur appréciation de son rôle dans la résolution de la crise libyenne. Le ministre de l’Intérieur du GNA, Fathi Bashagha, affilié aux Frères musulmans, a ainsi annoncé sa compréhension de la position égyptienne, soulignant que « les Libyens refusent de compromettre la sécurité de l’Egypte ».
Les protagonistes du conflit libyen ont encore un long chemin à faire avant de parvenir à un accord de réconciliation. Khaled Al-Mishri, chef islamiste du Haut Conseil d’Etat à Tripoli, l’a confirmé en déclarant le 9 septembre : « Nous ne pouvons pas dire que les (réunions du Maroc) sont jusqu’à présent … de véritables séances de dialogue. Il s’agit plutôt de consultations préliminaires pour le début du dialogue ». L’un des obstacles majeurs est la présence militaire de la Turquie, principal soutien du GNA. Celui-ci se serait opposé dans les pourparlers au Maroc à toute proposition prévoyant un retrait de la Turquie. Tripoli aurait également refusé l’idée d’annuler les accords signés avec Ankara sur la démarcation des frontières maritimes et des zones économiques exclusives en Méditerranée et de former un comité international neutre pour examiner ces accords.
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