La situation des trois pays que sont la Chine, la Russie et l’Iran dans l’ordre mondial les a amenés à se rapprocher. Il ne s’agit ni d’un pacte militaire, ni d’un regroupement économique, mais plutôt d’une entente politique dans l’objectif d’alléger les pressions économiques et politiques qui ne cessent de s’amplifier. Certaines de ces pressions sont évidentes, d’autres latentes.
L’Iran étouffe sous le poids des sanctions américaines. A cela s’ajoute la crise du coronavirus qui a beaucoup pesé sur le pays. D’une certaine manière, Téhéran commence à payer le prix de son expansion au Moyen-Orient et dans le monde arabe. Bien que cette expansion lui donne une certaine notoriété, il n’en demeure pas moins que son coût est exorbitant à tel point que Téhéran a commencé à demander l’aide de ses alliés en Iraq, en Syrie, au Liban et au Yémen. En Iran, il existe certes des personnes sages qui voient dans cette conjoncture les prémices d’une situation intenable. L’Etat iranien est en passe d’entrer en confrontation militaire avec des ennemis qui vivent dans l’ombre, mais qui frappent ses bases en Syrie et en Iraq. Ceci sans parler des assassinats qui ont lieu à l’intérieur même de l’Iran et les incendies dont on ignore les sources et qui sont proches des installations nucléaires iraniennes.
Face à l’impasse iranienne qui émane d’un état de fragilité, il y a l’impasse chinoise qui émane d’un dilemme de la force. En effet, la force de la Chine s’est amplifiée au cours des trois dernières décennies grâce à la mondialisation, aux investissements internationaux et aux chaînes mondiales d’approvisionnement. En 1992, la Chine était dixième en termes de Produit Intérieur Brut (PIB). En 2008, elle occupait la 3e place après les Etats-Unis et le Japon, et en 2010, elle était n° 2. Selon le forum économique mondial, on s’attend qu’elle passe devant les Etats-Unis en 2024. En réalité, Pékin l’a emporté sur Washington si le PIB est calculé en dollar. En plus, ses réserves en dollars et ses bonds de Trésor américains s’élèvent à trois trillions de dollars (3 000 milliards). Cela signifie qu’une fois la crise du coronavirus terminée, la Chine n’acceptera pas les sanctions et les persécutions commerciales de l’Oncle Sam.
La Russie, quant à elle, possède des points forts et faibles. Elle a hérité de l’Union soviétique avec ses armes et ses capacités militaires et nucléaires ainsi qu’avec ses services secrets. D’ailleurs, Vladimir Poutine est issu de cet appareil. Pendant 10 ans, la Russie a vécu un état d’anarchie, et l’emprise de la mafia sur la vie en Russie a appauvri le citoyen ordinaire devenu nostalgique de la stabilité et de la force soviétiques même s’il s’agissait d’un régime autoritaire. La Russie est aujourd’hui disposée à se forger un statut de superpuissance grâce à ses interventions militaires actives en Géorgie, en Syrie et en Ukraine et sa présence militaire dans l’Est de la Méditerranée. Cette Russie n’est plus prête à accepter les sanctions occidentales après s’être accaparée la presqu’île de Crimée. Elle n’accepte pas non plus les accusations d’ingérence dans les élections américaines de 2016 et les référendums occidentaux comme le Brexit en 2016.
L’Iran, la Chine et la Russie sont disposés à se regrouper au sein d’un même bloc pour résister aux Etats-Unis qui imposent leurs sanctions et font porter à la Chine la responsabilité du coronavirus.
Parce que l’Iran se trouve sous une pression colossale, il a conclu un partenariat avec la Chine en signant plusieurs accords économiques et sécuritaires d’une durée de 25 ans que la Chine ne pouvait refuser. En vertu de ce nouveau partenariat, Pékin injecterait des fonds chinois dans l’industrie énergétique iranienne et étoufferait ainsi les sanctions mises en place par le président américain, Donald Trump, contre l’Iran. Ce nouveau marché offrira à la Chine une réduction régulière pendant un quart de siècle sur les exportations pétrolières iraniennes. En contrepartie, Téhéran tirerait profit de la coopération sécuritaire avec l’armée chinoise qui dispose de techniques d’observation ultra-sophistiquées. Il est bien connu que Pékin dépend à 70 % de l’énergie et du pétrole étrangers, ce qui fait d’elle le plus grand importateur de pétrole au monde. Le marché avec Téhéran libèrerait le régime iranien de l’obligation de vendre son pétrole à des pays moins amis.
Par ailleurs, les relations de l’Iran avec la Chine et la Russie incluent le domaine nucléaire et l’accord nucléaire 1+5 dont se sont retirés les Etats-Unis. Mais Téhéran veut alléger les pressions américaines sur ses alliés. Raison pour laquelle sa relation avec Moscou ne s’est pas uniquement cantonnée dans l’aspect nucléaire. Pour ce qui est de la Syrie, la Conférence d’Astana est devenue le cadre dans lequel sont jouées toutes les tentatives de résolution de la crise syrienne. Téhéran a envoyé son ministre des Affaires étrangères, Mohamed Jawad Zarif, à Pékin pour ouvrir la voie à des accords globaux avec la Chine et la Russie qui dureront 20 ans. Il s’agit d’unifier les visions face aux sanctions américaines et de créer un espace international approprié pour faire face à l’hégémonie américaine. Sommes-nous face à une coalition sino-irano-américaine ? Ce qui est sûr c’est que les trois pays formeront un bloc face à l’encerclement des Etats-Unis.
Cette orientation qui semble attrayante pour les trois pays pourrait cependant être sujette à un recul. Si les résultats des élections américaines ne débouchent pas sur un second mandat pour le président Trump, l’Administration Biden reviendra à l’accord nucléaire iranien et s’engagera peut-être dans des négociations pour limiter l’influence iranienne en Syrie et l’emprise de l’Iran sur le Hezbollah libanais. Mais la scène interne en Iran, et surtout les conservateurs, n’est pas disposée à accepter ce genre de négociations de longue haleine. La grogne intérieure en Iran réunira la droite et la gauche. Il existe une coopération entre la Chine et la Russie qui s’est manifestée récemment dans le vote du Conseil de sécurité sur la Syrie. Ajoutons à cela que les Russes et les Chinois ont de multiples intérêts au Moyen-Orient, en Europe et en Asie qui font que les tentatives de Téhéran d’attirer Pékin et Moscou sont entourées de susceptibilités. Le facteur décisif dans ces accords sera les élections américaines. Si Trump est reconduit à la présidence pour un second mandat, ces accords seront justifiés pour faire face aux pressions américaines initiées par l’actuel président américain, car celui-ci poursuivra ses pressions pour contrecarrer l’Iran et pour l’amener à changer son comportement régional et à arrêter son programme de missiles et d’armes nucléaires. Il faut attendre pour voir.
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