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Dans le chaudron du Moyen-Orient

Mercredi, 12 août 2020

Le Liban a souvent été le théâtre des rivalités au Moyen-Orient. Avec la montée en puissance de l’activisme régional du Hezbollah, le pays du Cèdre risque de se trouver entraîné dans le conflit opposant Israël à l’Iran et la Syrie.

La double explosion meurtrière et sans précédent, qui a ravagé Beyrouth le 4 août, a eu l’effet d’un séisme qui aura des conséquences durables aussi bien sur le plan interne qu’externe dans le pays du Cèdre. Elle révèle à la fois les carences de l’élite gouvernante, issue principalement du système confessionnel, et la faiblesse de l’Etat et sa perméabilité aux interférences étrangères. Une partie de la population et de la classe politique libanaises jette la responsabilité de la grave crise socioéconomique dans laquelle le pays est plongé sur le Hezbollah chiite qui domine la vie politique depuis plus d’une dizaine d’années, car il a aliéné, par son action régionale, la précieuse aide financière des monarchies pétrolières du Golfe qui aurait pu aider leur pays à sortir de l’ornière. Certes, les racines de la crise sont autrement plus profondes et touchent l’ensemble de la classe politique, toutes confessions confondues, mais cette mise à l’index jette la lumière sur les répercussions pour le Liban de l’engagement régional du Parti du dieu aux côtés de l’Iran et du régime syrien de Bachar Al-Assad.

Que le Liban soit le terrain de jeu de ses voisins ainsi que d’autres acteurs régionaux n’est pas un phénomène nouveau. Le Liban, petit pays d’à peine 10 452 km2, a été souvent victime de sa position géographique, au coeur d’un Proche-Orient marqué par le conflit israélo-arabe. Entouré de puissants voisins, la Syrie et Israël, il a été le théâtre des antagonismes entre puissances et acteurs régionaux. Cet état remonte au moins à l’année 1978, bien avant la formation du Hezbollah en 1982, lorsqu’Israël a envahi le Sud-Liban pour chasser les fédayins de l’Organisation de libération de la Palestine, qui attaquaient le nord de l’Etat hébreu. L’armée israélienne a récidivé en 1982 lorsqu’elle est allée jusqu’à occuper la capitale libanaise pour obliger les combattants palestiniens à quitter le pays du Cèdre. L’armée israélienne, qui a ensuite maintenu une présence au Sud-Liban, a été contrainte de se retirer en 2000 en raison d’une campagne militaire prolongée menée contre elle par le Hezbollah, fondé par le Corps iranien des Gardiens de la révolution au plus haut de l’invasion israélienne du Liban. Depuis, la formation chiite a maintenu une alliance indéfectible avec la République islamique, qui lui apporte un soutien en armes et en formation militaire.

Le rôle majeur du Hezbollah dans le retrait de l’armée israélienne du Liban lui a conféré une légitimité politique qui lui a permis de garder ses armes à la fin de la guerre civile qui a ravagé le pays de 1975 à 1990. Il est ainsi la seule milice armée sur le sol libanais, ce qui lui permet d’imposer sa volonté sur les autres partis et de dominer la vie politique. Cette montée en puissance de la formation chiite lui a autorisé un activisme régional sans précédent, en dehors de l’autorité de l’Etat libanais, allant jusqu’à prêter main-forte au régime du président Bachar Al-Assad, aux prises avec une rébellion armée depuis 2011. L’intervention militaire du Hezbollah au profit de Damas a exacerbé les divisions de la classe politique libanaise entre les camps pro et anti-Damas. Les institutions politiques sont à leur tour restées longtemps paralysées par cette discorde. L’opposition interne à l’action régionale du Hezbollah s’expliquait non seulement par son soutien au régime de Damas, mais surtout par son alliance avec la République islamique, très présente sur le terrain en Syrie, et dont les ambitions régionales ne sont un secret pour personne.

Cette implication unilatérale du Hezbollah portait le risque d’entraîner le Liban contre son gré dans un conflit régional dans lequel s’opposaient plusieurs ennemis jurés : Iran et Syrie, d’un côté, et Israël, de l’autre. Vu cette imbrication ainsi que la proximité géographique, il n’était pas fortuit que le conflit syrien soit sporadiquement étendu au Liban, plusieurs attaques non revendiquées ayant secoué la capitale Beyrouth et d’autres régions. L’impact le plus visible de la guerre syrienne au Liban, un pays d’environ 4,5 millions d’habitants, a été l’afflux d’environ 1,5 million de réfugiés. Beyrouth et les organisations internationales ont, à plusieurs reprises, tiré la sonnette d’alarme sur le fardeau économique et social posé par cet afflux massif.

Le Hezbollah est devenu rapidement un acteur majeur de la guerre civile en Syrie, où il a déployé des milliers de combattants. Avec le soutien de l’Iran, le groupe est devenu plus aguerri et gagné en capacités opérationnelles. Cette évolution, liée à sa connexion avec la République islamique, a alarmé Israël qui considère désormais le Hezbollah comme la menace la plus immédiate à sa sécurité, qu’il faut juguler. C’est ainsi qu’Israël a fréquemment mené des frappes aériennes contre des cibles du Hezbollah en Syrie, dont la plupart avait pour objectif d’arrêter les envois d’armes ou de technologie de missiles en provenance de l’Iran. Israël a également envoyé des avions de combat et des drones de reconnaissance pour surveiller les activités du Hezbollah, violant l’espace aérien libanais presque quotidiennement ces derniers mois.

La perception israélienne du danger que représente le Hezbollah a déjà poussé Tel-Aviv à envahir le Sud-Liban en juillet-août 2006 pour anéantir les capacités militaires de la formation chiite. L’offensive qui a duré 34 jours n’a toutefois pas apporté les résultats escomptés.

Aujourd’hui, Israël s’inquiète le plus de ce qu’il estime les tentatives du Hezbollah de développer des capacités de production de missiles à guidage de précision. Pendant la guerre de 2006, le groupe a lancé quelque 4 000 roquettes sur Israël, la plupart d’entre elles des projectiles non guidés à portée limitée. Les responsables israéliens affirment à l’heure actuelle que le Hezbollah possède quelque 130 000 roquettes et missiles capables de frapper pratiquement n’importe où en Israël. Ils soutiennent qu’il dispose de missiles antichars sophistiqués, d’équipements de vision nocturne et de capacités de cyber-guerre.

Pour y faire face, l’armée israélienne a mis au point des plans d’attaque des capacités supposées du Hezbollah en matière de missiles de précision dans le sud et l’est du pays. Ces plans s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie appelée « Momentum » qui vise à contrer les adversaires d’Israël au Moyen-Orient, en particulier l’Iran et ses alliés. Un objectif majeur de cette stratégie est de perturber les efforts du Hezbollah pour développer des capacités de production de munitions à guidage de précision qui donneraient au groupe un avantage stratégique au combat.

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