Le nouveau gouvernement israélien annexera-il prochainement de larges portions de la Cisjordanie ? Une telle décision, qui concernera les colonies de peuplement juif et la vallée du Jourdain, pourrait intervenir dès le début de juillet prochain, avec le soutien des Etats-Unis. Une équipe israélo-américaine élabore actuellement des cartes de cette nouvelle annexion qui portera sur 30% de la Cisjordanie, définissant la zone à engloutir et les futures frontières.
Le pouvoir en Israël avait toujours voulu étendre sa mainmise sur le maximum de terres de la Cisjordanie alors que les partis de droite souhaitaient avaler entièrement cette dernière, en expulsant ses habitants palestiniens vers les pays arabes voisins, notamment la Jordanie. Ces formations faisaient pression sur les gouvernements successifs pour étendre la souveraineté israélienne à la Cisjordanie pour des motifs idéologiques et religieux, estimant que l’Etat hébreu devrait contrôler l’ensemble de la « Terre sainte » du Jourdain à la Méditerranée.
Mais les dirigeants israéliens n’avaient jamais osé passer à l’acte en raison de l’opposition des Etats-Unis. Cet obstacle a été levé dans le plan de paix appelé « marché du siècle », présenté fin janvier dernier par le président Donald Trump. Pour la première fois, Washington y prévoit l’annexion par Israël des colonies juives en Cisjordanie ainsi que la vallée du Jourdain, limitrophe de la Jordanie, que Tel-Aviv prétend indispensable à sa sécurité. Les chrétiens évangéliques aux Etats-Unis, qui sont des partisans-clés du président Trump, ont poussé l’Administration dans cette direction. Le plan américain reconnaît également, pour la première fois, l’ensemble de Jérusalem comme capitale d’Israël, désavouant le droit du peuple palestinien à faire de sa partie arabe la capitale de son futur Etat. Sans attendre l’annonce officielle de son plan et l’éventuel engagement de pourparlers israélo-palestiniens, l’Administration Trump a pris les devants et a transféré l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, imposant un fait accompli.
Bien que le plan américain affirme oeuvrer en faveur de la solution de deux Etats, il dénie en pratique au futur Etat palestinien toute indépendance et souveraineté et le maintient dans la dépendance totale et permanente d’Israël, qui devrait conserver le contrôle de sécurité sur l’ensemble du territoire. Déjà 60% de la Cisjordanie appartient, selon les accords intérimaires sur l’autonomie palestinienne signés en 1995, à la zone C qui est entièrement sous contrôle israélien, en attendant la détermination de son statut final dans un accord de paix introuvable. La Cisjordanie possède un important potentiel agricole et économique. Mais l’Autorité palestinienne n’a pas son mot à dire sur la terre ou ses ressources, à l’exception de son contrôle semi-autonome sur la zone A (18% de la Cisjordanie) comprenant les grandes villes palestiniennes, comme Ramallah, Jéricho et Bethléem, et quelques autres villages. La zone B, qui constitue 22% du territoire, est soumise à un contrôle mixte, laissant en pratique la haute main à Israël.
Profitant de la position inédite de l’Administration américaine, le premier ministre Benyamin Netanyahu, qui y voit une occasion historique, a fait de l’extension de la souveraineté israélienne aux colonies juives et à la vallée du Jourdain l’un de ses engagements de campagne électorale. Cette proposition, fondée sur le plan controversé de Trump, a été introduite dans l’accord de coalition du nouveau gouvernement. Benny Gantz, le partenaire de la coalition gouvernementale et chef de l’alliance Bleu et Blanc, qui doit succéder à Netanyahu au poste de premier ministre le 17 novembre 2021, avait fait campagne sur une promesse de s’opposer à l’annexion unilatérale par Israël de la Cisjordanie. Mais l’accord de coalition, qui a donné à Gantz un droit de veto sur presque toutes les décisions importantes du nouveau gouvernement, a fait exception de l’annexion de la Cisjordanie: Gantz sera seulement consulté sans pouvoir bloquer la décision de Netanyahu.
Il va sans dire que l’annexion des colonies et de la vallée du Jourdain rendra presque impossible l’établissement d’un Etat palestinien. Celui-ci sera alors composé d’une multitude d’enclaves sans continuité géographique, reliées entre elles par des ponts ou des tunnels sous souveraineté israélienne, à l’instar des Bantoustans qui étaient réservés à la population noire par le système de ségrégation raciale en Afrique du Sud, connu sous le nom d’Apartheid. A court terme, l’annexion pourrait déclencher des violences et conduire éventuellement à la désintégration de l’Autorité palestinienne, qui serait alors sans raison d’être puisqu’elle était fondée sur la promesse de l’établissement d’un Etat indépendant viable, par voie de négociation. Cela ramènerait le conflit israélo-palestinien presque à la case départ, où l’armée israélienne reprendrait les fonctions d’occupation qu’elle remplissait avant l’établissement de l’Autorité palestinienne: le contrôle quotidien de tous les aspects de la vie de plus de deux millions de Palestiniens qui vivent en Cisjordanie, avec tout ce que cela impliquerait de répression, de violences et de bavures à l’encontre des civils palestiniens. En même temps, l’annexion israélienne, qui tuera toute chance d’une solution à deux Etats, favorisera l’ascendance des courants radicaux palestiniens prônant la lutte armée contre l’occupation israélienne, dont le Hamas qui contrôle la bande de Gaza depuis juin 2007.
Ces risques étaient à l’évidence à l’origine de la visite impromptue du secrétaire d’Etat Mike Pompeo en Israël, le 13 mai dernier, où il aurait mis en garde les dirigeants israéliens contre toute annexion trop rapide. Même s’il appuie, conformément au plan américain, l’extension de la souveraineté israélienne aux colonies et à la vallée du Jourdain, Pompeo aurait conseillé de reporter la décision et averti qu’une annexion immédiate pourrait faire dérailler la « vision de paix » de l’Administration Trump. Il aurait ainsi relevé les risques susmentionnés de violences, d’effondrement de l’Autorité palestinienne et de montée en puissance des forces radicales palestiniennes. Ce raisonnement montre que l’objectif de Washington est d’utiliser la perspective d’une annexion unilatérale comme une épée de Damoclès visant à obliger l’Autorité palestinienne à accepter le plan américain et à engager des négociations avec Israël sur la base des propositions faites par les Etats-Unis .
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