Les tergiversations éthiopiennes pour s’abstenir de signer le projet de l’accord final sur le barrage de la Renaissance ne sont certainement pas fortuites. Fruit de négociations marathoniennes tout au long de 4 mois à Washington entre les ministres des Affaires étrangères, des Ressources hydriques de l’Egypte, de l’Ethiopie et du Soudan, des comités techniques de ces trois pays ainsi que d’experts, ce projet d’accord a été obtenu grâce au parrainage des Etats-Unis et de la Banque mondiale. Si l’Ethiopie n’a pas signé l’accord, c’était donc préalablement décidé. C’est aussi et surtout un outrage. Addis-Abeba veut imposer ce qu’elle considère comme des « droits souverains » sur les eaux du Nil. Le ministre éthiopien des Affaires étrangères a eu l’audace de dire: « La terre est la nôtre, les eaux sont les nôtres, ainsi que les fonds avec lesquels on construit le barrage. Aucune force n’est capable de nous empêcher d’accomplir notre projet ».
Cette offense éthiopienne porte de nombreux indicateurs. Pour Le Caire, il signifie tout simplement que le temps des négociations sur les droits hydriques de l’Egypte est révolu. Le Caire doit désormais assimiler cette réalité et ne doit aucunement accepter n’importe quelle nouvelle tentative de négociation, quelle que soit la partie qui la propose. Autre indicateur: si l’Ethiopie se permet une telle attitude offensive, c’est qu’elle repose sur un nombre de facteurs de force qu’elle considère comme des outils essentiels pour contraindre l’Egypte à se soumettre aux conditions qu’elle lui dicte. La première chose sur laquelle Addis-Abeba se base est la politique du fait accompli. Ajoutons à cela que l’Ethiopie est le pays en aval du fleuve qui procure au Nil 80 % de ses ressources hydriques à travers le Nil bleu.
Cette logique éthiopienne est erronée parce qu’en vertu du droit international, le Nil est un « fleuve international » qui traverse 11 Etats. Ce qui veut dire que l’usage de l’eau du fleuve doit être conditionné par les intérêts des autres Etats.
Les Ethiopiens comptent en outre les ententes nouées avec la plupart des Etats du bassin du Nil. D’où la tournée effectuée par la présidente de l’Ethiopie, Sahle-Work Zewde, au Kenya et en Ouganda et ses rencontres avec ses homologues kényan, Uhuru Kenyatta, et ougandais, Yoweri Museveni, à la suite de la dernière volte-face éthiopienne. Selon toute vraisemblance Sahle-Work Zewde visait à créer une forte coalition faite des pays du Bassin du Nil contre l’Egypte. Le Caire doit donc prendre au sérieux les tentatives éthiopiennes de saper les relations de l’Egypte avec les pays du bassin du Nil.
Par ailleurs, Addis-Abeba compte sur ses relations avec Israël et les Etats-Unis, présupposant que l’Egypte ne pourrait en aucun cas manifester une opposition vu les engagements que stipulent ce partenariat et ce soutien israélo-américains. L’Egypte est donc appelée à traiter avec le soutien israélien à la position éthiopienne à l’heure où des informations circulent, dont il faut s’assurer de la véracité, selon lesquelles « les défenses aériennes israéliennes assument la mission de défendre le barrage de la Renaissance éthiopien ». Cependant, Le Caire est conscient des ambitions israéliennes historiques dans les eaux du Nil et il détient de fortes cartes de pression pour traiter avec Tel-Aviv.
Sur un autre front, Addis-Abeba a aussi tenté d’amadouer certains pays arabes, notamment le Soudan et certains Etats du Golfe qui ont participé au financement de la construction du barrage. Ces Etats croient qu’ils ont des intérêts communs avec l’Ethiopie et plus généralement avec la Corne de l’Afrique. Ils considèrent aussi qu’ils peuvent avoir une influence sur la position égyptienne. Addis-Abeba a réussi à rallier Khartoum. Or, la position du Soudan, troisième partenaire dans le conflit autour du barrage de la Renaissance, est d’une grande importance.
Si l’Ethiopie s’estime confiante, avec toutes ces cartes en main, elle doit savoir que l’Egypte est capable de les désintégrer toutes ou presque. Le Caire connaît bien les faiblesses d’Addis-Abeba et sait comment les instrumentaliser de manière à obliger les Ethiopiens à revenir à une position raisonnable et sage. Si l’Egypte tient à ne pas annoncer en public sa capacité à tirer profit des faiblesses du régime d’Addis-Abeba, elle tient également à ne pas faire usage de la force pour défendre ses intérêts. Le Caire possède un potentiel qui lui permet de remanier la position éthiopienne et la remettre dans le sens correct
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