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La destitution de Morsi

Dimanche, 21 juillet 2013

Le cas d’école égyptienne n’a pas cessé d’alimenter les controverses dans le monde, notamment dans les chancelleries. Le « coup d’Etat » du 3 juillet 2013 que l’armée égyptienne a fomenté pour débarrasser l’Egypte du premier président démocratiquement élu de toute sa longue histoire, n’a-t-il pas d’indéniable dimension populaire ? On sait que le monde occidental ne tolère plus les coups d’Etat, pourtant, Dieu seul sait combien ils ont été complotés par l’Occident lui-même. Ceux qui ont eu lieu en Amérique latine, en Turquie, en Grèce et dans le Moyen-Orient ont été souvent les fruits d’une ingénieuse imagination politique des services américains.

On a du mal aujourd’hui à juger ce qui s’est passé en Egypte, parce que les Egyptiens, en se débarrassant de la molle dictature de 30 ans de Moubarak, se sont fiés benoîtement au jugement des urnes pour la première fois dans leur histoire. Ainsi, Mohamad Morsi, élu des Frères, fut intronisé il y a tout juste un an à la tête du pays le plus peuplé du monde arabe.

12 mois uniquement au pouvoir étaient largement suffisants pour montrer l’incapacité du président à fédérer derrière lui les forces vitales et laïques qui avaient voté pour lui, de crainte que son rival à l’élection présidentielle, un autre militaire, n’emporte le scrutin présidentiel. Mais l’échec le plus spectaculaire de Morsi et de toute la confrérie des Frères musulmans avec lui était leur catastrophique gouvernance du pays. Si l’Egypte de Moubarak était déjà malade socialement ou démocratiquement, celle de Morsi se désagrégeait avec une vitesse vertigineuse vers des abîmes économiques, sociaux, et plus grave encore, insécuritaires. Ainsi, le pays, qui se préparait il y a 2 ans à recevoir 20 millions de touristes par an, se trouve aujourd’hui incapable de protéger ses propres citoyens dans les rues des grandes villes.

Aux yeux des observateurs, rester au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat était impossible, mais aux yeux de l’armée et de la population, rester un jour de plus au pouvoir risquait d’envoyer l’Egypte aux sombres heures de l’occupation ottomane du Moyen Age où l’Etat n’existait pas et le pays était la victime permanente des guéguerres, souvent armées, des diverses soldatesques mamelouks.

Vu de Paris, la fin du règne des Frères était quelque chose d’impardonnable, mais nécessaire pour sortir le pays de l’impasse telle une chirurgie de grande ampleur qui mine l’organisme malade, mais qui finit par le guérir.

L’attaque qu’a subie l’armée égyptienne par des observateurs et des politiques européens et américains montre bien que la plupart de ces messieurs « experts internationaux » ont un savoir limité sur l’omnipotence de l’armée égyptienne comme institution militaire, mais aussi comme détenteur de 30 % de l’économie du pays, et enfin, comme garant de la pérennité des accords de paix avec Israël. L’armée en Egypte c’est l’Egypte elle-même, où des passerelles visibles et des souterrains font des deux corps un seul et causent ainsi beaucoup de confusion dans le champ de vue des observateurs de la scène internationale. La grande erreur de Mohamad Morsi réside justement là. Le président déchu a essayé de couper l’armée du peuple ou de séparer le peuple de son armée.

Les jeunes Egyptiens qui manifestaient contre Morsi ce 30 juin n’hésitaient pas à s’interroger devant les caméras des chaînes de télévision : pourquoi rejette-t-on tant le fascisme religieux en Europe et nous demander de nous en accommoder ?

Il n’est pas question pour ces jeunes de signer un chèque en blanc à l’armée, mais ils ont parfaitement compris qu’aucun changement n’est possible sans elle. En attendant la mise en oeuvre de la feuille de route imposée par l’armée (organisation d’élections législatives avant la fin de l’année et des présidentielles début 2014), la base militante des Frères musulmans va continuer à montrer sa force de nuisance dans le pays en manifestant ou en organisant des attaques ciblées ici et là. Un acteur, avisé de la vie politique égyptienne, avait qualifié l’action actuelle des Frères musulmans par « la danse des poulets égorgés ».

En réalité, l’intégration de la confrérie dans la feuille de route de l’armée est perçue au Caire comme une dernière bouée lancée aux Frères au bord de la noyade dans les mers troubles de la politique interne égyptienne, sinon, ce serait la fin de l’existence même de leur structure politique et religieuse.

En dehors des considérations purement politiques de la scène égyptienne, le vrai arbitre des troubles actuels reste incontestablement le dossier économique du pays. Le choix de Hazem Al-Béblawi comme premier ministre est un signe révélateur de la primauté de l’économie et du social dans le gouvernement de transition imposé par l’armée. Cet économiste de renommée internationale était déjà très en vue lorsqu’il tenait le portefeuille du ministère des Finances sous le maréchal Tantawi au lendemain de l’éviction de Moubarak. Deux grands défis s’imposent à cet ancien doctorant de Grenoble et enseignant à la Sorbonne : c’est d’abord son caractère de rebelle (il avait déjà présenté spectaculairement sa démission au maréchal Tantawi en protestation à la répression de l’armée contre les jeunes révolutionnaires) et l’urgence de trouver des solutions aux deux problèmes qui minent la vie des Egyptiens et qui ont été à l’origine de la révolte contre Morsi : l’insécurité et la dégradation de la vie des Egyptiens (pénurie d’essence, de pain, d’électricité, etc.).

Mais aura-t-il le temps, vu le calendrier électoral annoncé, de trouver des remèdes miraculeux aux problèmes des Egyptiens ? Mieux encore, aura-t-il les moyens financiers et politiques d’organiser le programme économique qu’il va annoncer ?

Si nous parlons des moyens financiers, il ne faut pas oublier la très rapide et surprenante aide financière des pays du Golfe à l’Egypte post-Morsi (12 milliards de dollars, dont 3 en dons offerts par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït), cette précieuse aide montre bien l’exaspération de ces monarchies, anciennes fidèles alliées de Moubarak, du rôle de parrain que le Qatar n’a cessé de jouer auprès des Frères musulmans en Egypte et ailleurs.

Si nous parlons des moyens politiques, la perspective de voir la situation économique s’améliorer reste très aléatoire dans la mesure où ni le tourisme, ni les fonds des investisseurs étrangers ne seront de retour avant une stabilité totale du pays. A cela, il faut ajouter que tout le jeu des Frères musulmans pathétiquement déçus réside dans ce point. Autrement dit, plus ils montrent que le pays est instable, plus l’économie restera en berne.

Enfin, un général en retraite de l’armée française nous a dit il y a quelque temps qu’en Egypte, il fallait toujours composer avec l’armée et qu’il suffisait de trouver l’homme providentiel qui réussissait à faire la jonction entre les trois composantes de l’Egypte : l’armée, la religion et la démocratie. Cela nous montre bien que dessiner les contours de cette démocratie introuvable avec les Frères musulmans est très difficile, mais le faire sans eux est presque impossible.

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