Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, n’en finit pas de nous épater. Après ses déboires avec les Américains et ses nombreux désaccords avec les Occidentaux, le voilà à nouveau en désaccord avec, cette fois, son allié russe. L’offensive du régime syrien sur la région d’Idleb en Syrie, soutenue par l’aviation russe, a visiblement exaspéré le président turc. « Notre patience va s’épuiser. Nous allons prendre des mesures. Nous attendons de la Russie qu’elle mette en garde le régime d’Assad », a déclaré Erdogan, qui accuse Moscou de « ne pas respecter ses engagements concernant le cessez-le-feu à Idleb ». Fait que les Russes imputent plutôt aux groupes islamistes radicaux présents dans la région.
Les forces gouvernementales syriennes, appuyées par l’armée russe, ont lancé dernièrement une offensive contre la région d’Idleb, dernier bastion rebelle au nord de la Syrie, et se sont emparées de la ville stratégique de Maaret Al-Noeman. Or, la Turquie possède des points d’observation au nord de la Syrie depuis l’accord d’Astana. Ils sont censés surveiller le cessez-le-feu instauré en vertu des accords conclus avec la Russie. La décision du régime de Damas et son allié russe d’engager l’offensive à Idleb a provoqué la colère d’Ankara, qui craint un exode massif de ressortissants syriens à ses frontières. Mais ce n’est pas tout. La région d’Idleb abrite d’importants contingents de djihadistes formés et entraînés par la Turquie. Une partie de ces djihadistes a été envoyée en Libye, afin de soutenir le gouvernement de Fayez Al-Sarraj contre les forces du maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne, qui a lancé une offensive en avril dernier pour s’emparer de la capitale Tripoli. Erdogan a fait comprendre aux djihadistes que leurs familles seraient « en sécurité » à Idleb. Mais l’offensive du régime a bouleversé tous les calculs du président turc, car les familles des djihadistes sont à présent menacées. Et un éventuel retour de ces derniers en Syrie pour défendre leurs familles ne fera que précipiter la chute du régime d’Al-Sarraj en Libye, d’où la colère d’Erdogan qui, pour la première fois, hausse le ton contre son allié russe.
Les relations entre la Russie et la Turquie se sont détériorées en 2015 après qu’Ankara avait abattu un Sokhoï russe au-dessus de la Syrie. Elles s’étaient cependant améliorées à partir de 2016. Boudé par les Occidentaux en raison de ses dérives autoritaires après le coup d’Etat manqué contre son régime, Erdogan s’était alors rapproché de la Russie. Et le président russe Poutine a habilement entraîné le chef de l’Etat turc loin de l’Otan et du camp occidental. Les deux pays ont des intérêts en Syrie et Erdogan a toujours ménagé son homologue russe dans ses déclarations sur la Syrie. Mais les Russes et leur allié syrien, ne voulant visiblement pas perdre l’opportunité alors qu’ils ont l’avantage, ont décidé d’engager l’offensive sur Idleb au grand dam de la Turquie. Le président turc se retrouve donc soudainement en collision avec son allié russe non seulement en Syrie, mais aussi en Libye, où des mercenaires russes de la compagnie privée Wagner Group se battent aux côtés des forces de Khalifa Haftar contre les mercenaires envoyés par la Turquie.
Erdogan a toujours tenté de s’entreposer entre les djihadistes d’un côté, le régime et les Russes de l’autre. Il s’était notamment fortement impliqué lors de l’accord de Sotchi en 2018, en faveur d’une zone de désescalade à Idleb sous contrôle russo-turc, invoquant notamment le risque d’une « catastrophe humanitaire ». Mais Erdogan ne voulait en réalité qu’éviter l’humiliation aux groupes djihadistes qu’il a toujours soutenus et entraînés. Une fois de plus, le président turc paie le prix de ses politiques erronées .
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