En recueillant 58 % des suffrages exprimés, l’ancien premier ministre Abdelmadjid Tebboune a remporté jeudi dernier l’élection présidentielle en Algérie, dès le premier tour. Avec un taux de participation de 40 %, le nouveau président estime avoir suffisamment de légitimité pour mener à bien des réformes réclamées par le mouvement de protestation populaire. Celui-ci rejette cependant son élection, le considérant comme faisant partie du système politique dont il veut en découdre.
Toutefois, les autorités espèrent que l’élection d’un nouveau président mettra fin à des mois de troubles suite au renversement de Abdelaziz Bouteflika en avril dernier. Tebboune aura cependant du mal à être accepté par les protestataires qui jugent le système en place incompétent, corrompu et incapable de gérer une économie en déclin. Outre la crise politique qui dure depuis février dernier, le nouveau chef d’Etat sera particulièrement attendu sur le front économique, où le pays fait face à la situation la plus difficile depuis des décennies, avec une baisse des revenus énergétiques et des coupes importantes dans les dépenses publiques.
L’économie algérienne est peu diversifiée et fortement tributaire des recettes des exportations du pétrole et du gaz naturel, qui ont diminué au cours des dernières années en raison des prix relativement bas, en particulier les cours du gaz, et de la stagnation de la production. Un rapport publié en novembre par le service des douanes a montré que les exportations de gaz et de pétrole, source de 95 % des recettes de l’Etat et de 60 % du budget, avaient chuté de 12,52 % au cours des neuf premiers mois de 2019, soit 25,28 milliards de dollars contre 28,89 milliards un an auparavant. Ce recul est dû à la baisse de la production gazière de plus de 5 milliards de m3 (mm3), tandis que la demande intérieure a augmenté de plus de 2 mm3, selon les données de la Joint Organisations Data Initiative (JODI). La production commerciale au cours des neuf premiers mois de 2019 était de 62,9 mm3, contre 68 mm3 à la même période en 2018, selon la JODI.
La production de pétrole a également connu une baisse continue au cours des dernières années, exacerbée par le manque de nouvelles découvertes de gisements après des années de recul des investissements étrangers. La production de brut n’a atteint en moyenne que 1,03 million de barils par jour (b/j) de janvier à novembre de cette année, sa moyenne annuelle la plus faible depuis 2002, selon les données de S & P Global Platts. La production a atteint un pic de 1,4 million de b/j à la mi-2008 et connu, depuis, une trajectoire descendante.
Pour faire face à ses engagements financiers, le gouvernement a dû puiser dans les réserves en devises étrangères de la Banque Centrale, qui en a perdu plus de la moitié depuis que les cours des hydrocarbures ont commencé à baisser en 2014. Les réserves ont ainsi diminué de 7,28 milliards de dollars au cours des quatre premiers mois de l’année pour s’établir à 72,6 milliards. En 2014, lorsque les prix du brut étaient à 100 dollars le baril, les réserves étaient de 178 milliards de dollars. Le gouvernement a également décidé une réduction de 9 % des dépenses publiques dans le budget de l’année prochaine, tout en préservant les subventions politiquement sensibles. Cette tendance à faire des coupes dans les secteurs dits non productifs a commencé dans les dernières années du règne du président Abdelaziz Bouteflika, le gouvernement s’employant à persuader la population qu’un Etat providence fournissant des emplois publics improductifs et garantissant un logement bon marché, de l’essence, de la nourriture, des médicaments et des soins hospitaliers gratuits, n’était plus viable. Mais le déclenchement du mouvement de protestation en février dernier a forcé le gouvernement à ralentir le rythme d’application de ces coupes budgétaires.
Pour faire face à la crise, le gouvernement s’emploie à redynamiser le secteur de l’énergie. C’est ainsi que la Chambre haute du parlement a approuvé le 2 décembre une nouvelle loi sur les hydrocarbures, en vue d’attirer des investissements étrangers. La nouvelle loi réduit les taxes imposées aux investisseurs et leur donne plus de flexibilité contractuelle dans leurs relations avec la compagnie pétrolière de l’Etat, Sonatrach. Le nouveau PDG de celle-ci, Kameleddine Chikhi, nommé à la mi-novembre, a déclaré que son objectif principal est d’attirer des partenaires étrangers, afin de revitaliser le secteur. Chikhi devrait en particulier accélérer les négociations avec les majors américaines ExxonMobil et Chevron qui ont eu des entretiens avec Sonatrach le mois dernier sur une nouvelle activité d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures.
Le gouvernement a également approuvé de nouvelles règles d’investissement pour permettre aux sociétés étrangères de détenir des parts majoritaires dans des « secteurs non stratégiques », comme l’alimentation, l’automobile, les appareils électroménagers et les téléphones portables. L’objectif est double : réduire le chômage, notamment des jeunes, qui a récemment atteint 31 %, et les importations, qui représentent en moyenne 50 milliards de dollars par an. Ces importations couvrent la plupart des besoins du pays, héritage d’une réticence à autoriser les investissements étrangers en raison de sa guerre d’indépendance de 1954-1962 contre la France et des liens autrefois solides avec l’Union soviétique.
Mohamed Sami Agli, président du Forum des chefs d’entreprises, la plus importante institution économique d’Algérie, a déclaré le mois dernier que le pays avait perdu plus d’un demi-million d’emplois depuis le début des troubles en février. Cette évolution s’est répercutée sur la croissance économique. Alors qu’elle était de 1,5 % du PIB en 2018, elle devrait reculer à 1,3 % en 2019, selon les statistiques de la Banque mondiale. Avec la poursuite des protestations populaires, la croissance devrait rester faible, bien que la découverte en 2018 d’un nouveau gisement géant offshore de gaz naturel au large de Skikda par les compagnies italienne et française, Eni et Total, laisse entrevoir à moyen terme un rebond de la production et de l’exportation.
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