Après 23 ans d’interruption, les Etats-Unis ont décidé de reprendre leurs pleines relations diplomatiques avec le Soudan, en annonçant mercredi 4 décembre le prochain échange d’ambassadeurs entre les deux pays. La décision marque l’amélioration des relations bilatérales depuis la formation à Khartoum en août dernier d’un gouvernement intérimaire chargé d’organiser des élections générales en 2022, au terme d’une période de transition de trois ans au cours de laquelle civils et militaires se partagent le pouvoir. L’annonce a été faite par le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, lors de la visite du premier ministre soudanais, Abdallah Hamdok, à Washington, la première d’un dirigeant soudanais depuis 1985.
L’objectif principal de la visite de Hamdok était de convaincre les responsables américains de retirer son pays de la liste des Etats soutenant le terrorisme, une sanction imposée par Washington depuis 1993 au régime de l’ancien président Omar Al-Béchir, renversé en avril dernier par un soulèvement populaire. La décision américaine de sanctionner Khartoum se justifiait à l’époque par son accueil de groupes terroristes, tels qu’Al-Qaëda d’Ossama bin Laden, qui avait trouvé refuge au Soudan au début des années 1990. Les Etats-Unis ont ensuite accusé le régime soudanais d’être impliqué dans le double attentat contre les ambassades américaines à Nairobi, au Kenya, et à Dar Es Salam, en Tanzanie, en août1998, qui avait fait 224 victimes, dont 12 Américains, et plus de 4500 blessés. Ils ont également accusé Khartoum d’implication dans l’attentat revendiqué par Al-Qaëda contre le destroyer USS Cole en octobre2000 au large d’Aden au Yémen, où 17 marins américains ont trouvé la mort.
Tout en exprimant leur soutien au gouvernement de transition, les responsables américains lient le retrait du Soudan de la liste des Etats soutenant le terrorisme à un processus qui nécessite un examen formel sur une période de six mois. En réalité, Washington impose une série de conditions à la levée de cette sanction, dont la conclusion par le régime soudanais d’un accord d’indemnisation avec les familles des victimes des attentats de1998 et2000. Des jugements de tribunaux américains avaient exigé que le gouvernement soudanais paie 2,1 milliards de dollars de dommages et intérêts aux familles américaines victimes des deux attentats de 1998 et plus de 300 millions de dollars aux victimes de l’attaque contre l’USS Cole.
Le premier ministre soudanais, Abdallah Hamdok, et le président de la commission des Affaires étrangères
de la Chambre des représentants, Eliot Engel, à Washignton le 4 décembre.
(Photo: AFP)
Dans une rencontre à Washington entre Hamdok et des membres du Comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants, les députés ont en outre souligné la nécessité pour Khartoum de faire preuve de transparence dans le secteur de la sécurité ainsi que sur « les éléments restants de l’ancien régime qui pourraient toujours soutenir le terrorisme international ». Les législateurs ont particulièrement mis l’accent dans ce cadre sur le rôle à échoir dans la période de transition aux forces paramilitaires de « soutien rapide » — qui étaient proches de l’ancien régime déchu— soupçonnées de violences meurtrières et d’atrocités contre les manifestants anti-Béchir en juin dernier.
L’Administration américaine tient en particulier à obtenir des preuves sur l’engagement de Khartoum dans la lutte contre le terrorisme. Le département d’Etat veut ainsi des assurances sur le mode de fonctionnement des services de sécurité et de renseignement après les réformes récentes introduites depuis août dernier et sur le fait que ces organes de sécurité soient entièrement sous contrôle civil. Il cherche aussi à obtenir des informations sur la présence présumée de groupes rebelles originaires de pays voisins et d’un certain nombre de terroristes internationaux connus, qui se cacheraient au Soudan. Washington veut enfin la fermeture des bureaux du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais à Khartoum, l’un et l’autre étant classés organisation terroriste par les Etats-Unis.
Crise économique aiguë
Le retrait du Soudan de la liste des Etats soutenant le terrorisme est d’une importance capitale pour les nouvelles autorités à Khartoum. La ministre des Affaires étrangères, Asmaa Abdallah, a récemment déclaré que la levée des sanctions était la principale priorité du pays. La raison en est qu’elle est une condition sine qua non de l’atténuation et éventuellement du règlement de la crise économique aiguë dont souffre le Soudan depuis de longues années. Celle-là même qui était à l’origine de la chute de Béchir.
Le Soudan est en butte, en autres, à une flambée des prix des produits alimentaires, un chômage élevé et une pénurie des produits de première nécessité, dont le pain, le carburant et les médicaments. Le Fonds Monétaire International (FMI) prévoit que l’économie soudanaise se contractera de 2,3% cette année. Hamdok avait déclaré avant de devenir premier ministre que le Soudan était « en faillite » et que sa Banque Centrale était dépourvue de réserves financières. Pour y faire face, le gouvernement a dû recourir à l’impression de billets de banque pour payer ses factures et honorer ses engagements, ce qui a augmenté l’inflation qui a atteint 60%, selon un récent rapport publié par l’agence de presse officielle SUNA. La poursuite des conditions actuelles devrait pousser l’inflation davantage vers le haut. Pour remédier à la situation, le premier ministre a insisté que le Soudan a besoin d’une aide étrangère de 8 milliards de dollars au cours des deux prochaines années, ainsi que d’un dépôt à la Banque Centrale de 2 milliards de dollars supplémentaires pour soutenir la monnaie locale, la livre.
Les Etats-Unis ont levé en octobre 2017 les sanctions commerciales qui frappaient le Soudan depuis plus de deux décennies, évoquant des progrès en matière de lutte contre le terrorisme et d’accès à l’aide humanitaire. Mais ils ont gardé celle concernant le soutien au terrorisme. Le maintien de cette sanction a de graves conséquences sur la crise économique du Soudan, car il empêche le gouvernement de contracter des crédits sur le marché financier international et auprès du FMI et de la Banque mondiale. Il entrave également ses tentatives d’alléger et de rééchelonner sa dette extérieure qui s’élève à environ 60 milliards de dollars, avec un service annuel de quelque 3 milliards de dollars. Selon les responsables soudanais, les investisseurs étrangers hésitent, malgré la levée des sanctions commerciales, à approcher le Soudan, craignant des sanctions américaines.
Le probable échec du gouvernement intérimaire, en raison de la sanction américaine, à faire face à la crise économique est de nature à l’affaiblir, car cela l’empêcherait de répondre aux attentes de la population sur le plan économique. En septembre dernier, Hamdok avait rencontré des responsables américains à l’occasion de sa participation à l’Assemblée générale des Nations-Unies. Il a alors déclaré s’attendre à une « grande avancée », mais rien n’a changé depuis, à part l’annonce du retour prochain de l’ambassadeur américain.
Vu la difficulté de faire évoluer rapidement la position américaine, le Soudan s’est tourné vers l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis pour l’aider à surmonter la crise économique. C’était le but de la visite effectuée par Hamdok et le général Abdel-Fattah Al-Burhan, président du conseil souverain chargé de superviser la transition, à Riyad et Abu-Dhabi, début octobre, juste après le retour du premier ministre de l’Assemblée générale de l’Onu. Les deux pays du Golfe avaient promis une aide de 3milliards de dollars à la suite du renversement de Béchir. Ils ont déjà fourni la moitié de cette assistance, mais l’autre moitié ne devrait être livrée que vers la fin de l’année prochaine.
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