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Israël et la destitution de Morsi

Lundi, 15 juillet 2013

En toute discrétion, Israël se frotte les mains du renversement de Mohamad Morsi et de la chute du régime des Frères musulmans. Il a cependant évité d’exprimer la moindre réaction de satisfaction pour ne pas impacter négativement sur le nouveau régime qui se met en place en Egypte, où l’opinion publique est largement hostile à Tel-Aviv.

Les responsables israéliens sont ainsi intervenus auprès des Etats-Unis pour les convaincre de ne pas couper ou réduire l’aide militaire et économique accordée au Caire, à la suite de la destitution du président Morsi par l’armée. Tel-Aviv craint qu’une telle révision de l’assistance, notamment militaire, n’entame le respect par l’Egypte du traité de paix avec Israël. L’aide militaire (1,3 milliard de dollars) et économique (250 millions) accordée chaque année à l’Egypte par les Etats-Unis a été décidée lors de la conclusion des accords de Camp David en septembre 1978 et du conséquent traité de paix en mars 1979. Bien que ne faisant pas partie de l’accord à proprement parler, elle a été décidée pour encourager l’Egypte à maintenir son engagement vis-à-vis de la paix avec Israël. Les responsables israéliens, à commencer par le premier ministre Benyamin Netanyahu, n’avaient pas à trop argumenter ; leurs interlocuteurs américains, tant à l’Administration qu’au Congrès, étaient déjà en majorité persuadés, malgré des déclarations publiques appelant à la révision de l’aide, de la nécessité de poursuivre cette dernière, pour préserver les intérêts des Etats-Unis, dont le traité de paix, pilier de la politique proche-orientale de Washington.

Israël avait déjà appelé les Etats-Unis à poursuivre son assistance militaire et économique à l’Egypte après la chute de Moubarak en février 2011 pour la même raison. Le traité de paix a été d’ailleurs respecté par Le Caire sous Morsi. Celui-ci est même intervenu en médiateur, à la grande satisfaction de Tel-Aviv et Washington, entre le Mouvement de la résistance islamique (Hamas) et Israël pour mettre un terme à l’offensive de ce dernier contre la bande de Gaza en novembre 2012. Son intervention était motivée par sa volonté d’épargner au Hamas, son allié en Palestine, les bombardements et les destructions commis par l’armée israélienne ainsi que pour plaire à Washington, dont la protection de la sécurité d’Israël fait partie des priorités de la politique étrangère au Proche-Orient.

La sécurité d’Israël a été dans l’ensemble protégée sous le régime des Frères musulmans. D’où vient donc la satisfaction d’Israël de la destitution de Morsi ? La première raison se trouve dans le rapprochement entre Morsi et la branche palestinienne de la confrérie, le Hamas, qui ne reconnaît pas Israël et adopte la lutte armée contre son occupation des territoires palestiniens. Tel-Aviv croit que ces deux parties islamistes veulent à terme, pour des raisons idéologiques, la destruction d’Israël. Pour lui, si le régime des Frères musulmans n’a pas porté atteinte à la sécurité d’Israël, c’est parce qu’il était trop absorbé par ses problèmes internes politiques, économiques et sociaux ainsi que par sa volonté de dominer les principales institutions de l’Etat. Tel-Aviv pensait ainsi que les Frères musulmans pourraient se montrer à moyen et long termes plus nuisibles à la sécurité d’Israël, en apportant une aide substantielle et multiforme au Hamas.

Ses inquiétudes étaient renforcées par la détérioration de la sécurité dans la péninsule de Sinaï, frontalière d’Israël, en raison de la multiplication des groupes djihadistes, en liaison avec le Hamas et d’autres groupes salafistes palestiniens. Certes, l’Egypte a multiplié les opérations sécuritaires au Sinaï à la chasse des groupes terroristes. Mais c’était essentiellement le fait de l’armée égyptienne qui s’inquiétait de la montée de la menace djihadiste dans cette région hautement importante pour la sécurité de l’Egypte. Le président Morsi a dû souscrire à cette campagne, car la situation au Sinaï était intolérable, provoquant des morts, des blessés et des enlèvements parmi les militaires et les agents de police égyptiens. Les parents des victimes faisaient régulièrement porter la responsabilité de leurs malheurs au laxisme et à la complaisance du régime de la confrérie envers le Hamas. Celui-ci était d’ailleurs souvent la cible d’une campagne de critiques féroces dans les médias égyptiens pour sa responsabilité supposée dans la détérioration de la sécurité et les attentats au Sinaï.

Que l’armée reprenne les choses en main au Sinaï est un soulagement pour Israël. L’armée égyptienne avait du temps de Moubarak développé une relation de travail avec son homologue israélien sur des questions communes de sécurité, liées à l’infiltration et à la présence d’éléments djihadistes au Sinaï. L’état-major israélien a d’ailleurs souligné que la coordination avec l’Egypte s’était améliorée sous les Frères musulmans, en raison de la détérioration de la sécurité au Sinaï. Depuis la destitution de Morsi, l’armée mène la plus vaste campagne contre les djihadistes et les militants du Hamas au Sinaï, où elle a annoncé la semaine dernière avoir tué 32 et arrêté 45 hommes appartenant à ce mouvement. Pour la première fois depuis la conclusion du traité de paix, l’armée égyptienne a eu recours, avec l’accord de Tel-Aviv, à des avions de chasse F16 et des hélicoptères d’attaque Apache dans la zone démilitarisée frontalière d’Israël. Certains de ces appareils ont même survolé la bande de Gaza, où ils ont détecté, selon une source militaire égyptienne, 150 éléments de la brigade Ezzedine Al-Qassam, le bras armé du Hamas, alors qu’ils se dirigeaient vers le Sinaï via les tunnels de contrebande.

La satisfaction d’Israël se justifie également sur le plan politique. L’Egypte joue un rôle majeur vis-à-vis de la question palestinienne, qu’il s’agisse de la réconciliation interpalestinienne ou du processus de paix, en panne depuis des années. Sous Morsi, l’Egypte s’est rapprochée du Hamas, l’ennemi juré d’Israël, et a marginalisé l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, le seul interlocuteur de Tel-Aviv. Cette situation était exactement l’inverse de celle existant sous Moubarak, qui avait privilégié l’Autorité palestinienne, au détriment du Hamas.

Tout gouvernement égyptien qui ne serait pas dominé par les Frères musulmans, ou les salafistes — et c’est le cas de la nouvelle équipe gouvernementale —, établirait un meilleur équilibre entre les deux frères ennemis palestiniens. Un rapprochement serait exclu avec le Hamas qui subira d’ailleurs inévitablement l’effet négatif de la campagne antiterroriste en cours au Sinaï, ainsi que les conséquences de sa probable ingérence dans les affaires intérieures de l’Egypte, en raison de son implication, révélée par un tribunal égyptien, dans la libération et la fuite de dirigeants de la confrérie, dont Mohamad Morsi, lors du soulèvement populaire contre Moubarak en janvier 2011.

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