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Liban : La difficile sortie du confessionnalisme

Tuesday 19 nov. 2019

L’échec historique, poli­tique et économique de la classe politique au Liban date de la colonisation française qui a instauré le confes­sionnalisme. Ce modèle politique a été ensuite conservé par les Etats-Unis, l’Iran et l’Arabie saoudite à la suite de la guerre civile libanaise, et qui se sont disputés le contrôle des chefs communautaires ou religieux. Ceux-ci ont entassé des richesses énormes grâce à la dépendance de l’étranger, en obtenant des commis­sions ou en s’accaparant des biens publics.

Tout au Liban est touché par la corruption qui mêle les appareils de l’Etat, la classe politique et les communautés. Cette corruption entrave toute tentative de construire un Etat fondé sur la citoyenneté, la souveraineté, le droit et l’intégrité de la justice. De plus, les critères confessionnels dominent tout : les hautes fonctions, le secteur privé et même les ONG financées par l’étranger. Et le confessionnalisme politique et social est intrinsèquement lié à la corruption. Pire encore, il dépend largement de fonds étrangers, provenant de pays qui soutiennent chacun une communauté, à tel point que la corruption est devenue une politique générale qui prend le dessus sur l’Etat et son système judiciaire et juridique. Les lois sont promulguées conformément aux répartitions confessionnelles et aux intérêts de la classe politique qui dirige réellement le pays à partir des foyers et des familles qui dominent les communautés. La promulgation des lois est elle aussi sujette au pouvoir des représentants de premier plan de chaque communauté et de leurs alliés à l’intérieur des appareils de l’Etat. Les lois sont promulguées pour protéger les intérêts des chefs communautaires qui violent la loi au cas où elle ne serait pas conforme à leurs intérêts. On se trouve ainsi face à une double réalité : la loi de l’Etat et la loi sectaire.

Il est paradoxal de voir que sur les réseaux sociaux sont mentionnés les noms de politiciens appartenant aux différentes communautés et autour desquels planent des soupçons de corruption évaluée à des centaines de millions voire des milliards de dollars. En même temps, les taux de pauvreté et de chômage sont en hausse continue et la classe moyenne est en voie de disparition. Les jeunes et les diplômés universitaires quittent le pays à la recherche d’opportunités d’emploi et d’un avenir meilleur à l’étranger. En même temps, la lutte contre la corruption peine à être lancée ; par exemple, le Haut conseil pour le jugement des présidents et des ministres, fondé en 1990, n’a rien fait.

La crise actuelle au sein de la classe politique au pouvoir dévoile en outre l’incapacité de celle-ci de comprendre et d’analyser l’état de révolte chez la majorité des communautés libanaises. Cette couche politique continue à adopter les mêmes anciennes méthodes se contentant de faire allusion à intenter en justice des ex-chefs de gouvernements, omettant que d’autres politiciens, qu’ils soient au pouvoir ou non, sont impliqués dans d’importantes affaires de corruption. Or, de telles annonces contribuent davantage à raviver le confessionnalisme, une façon de mieux contrôler la révolte populaire qui aspire à un nationalisme libanais basé sur la citoyenneté, la souveraineté de la loi et l’intégrité de la justice.

La complexité de la situation libanaise s’est formée au fil de l’histoire, petit à petit, depuis la création de l’Etat libanais. Elle remonte même à l’époque du mandat français. Certains voient en la France « la mère bienveillante du Liban », la principale responsable des divisions et de la culture de la peur de l’autre. Cette situation a poussé certains chercheurs et intellectuels à l’intérieur des communautés à parler de la « démocratie du consentement », considérée comme étant un exemple important dans le contexte de division de la région arabe. Or, cette forme de démocratie se base sur des rôles et des pouvoirs accordés à des forces étrangères régionales et internationales, d’une phase à une autre de l’évolution politique et stratégique dans la région.

Les dirigeants communautaires et religieux se sont transformés en outils qui dépendent d’acteurs externes, dans un contexte d’absence totale du concept de la citoyenneté et de ses droits, ce qui a poussé des générations consécutives à avoir recours à l’émigration définitive ou à l’émigration provisoire vers les pays du pétrole.

C’est pour cela que l’assimilation par la classe politique confessionnelle des manifestations et le mouvement des foules semble superficielle, pensant être capable de dominer cette nouvelle vivacité politique à travers la tergiversation, la lenteur de la réaction politique et en insistant à résumer la question libanaise dans le problème économique sans prendre en considération les déséquilibres du régime confessionnel et le fléau de la corruption.

La crise de la conscience politique apparaît également dans la proposition de la loi de l’amnistie générale qui, aux yeux des manifestants, profite aux grands corrompus parmi la classe politique et les ex-employés de l’Etat. La lenteur dans la réaction de la classe politique signifie un manque d’assimilation de la profondeur du changement politique et social qui se produit de bas en haut.

Aujourd’hui, sévit un sentiment commun de désespoir total face au confessionnalisme libanais, ce qui impose la nécessité de parvenir à une autre forme de régime politique.

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