Enfin, une avancée ! La réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Egypte, de l’Ethiopie et du Soudan, tenue les 6 et 7 novembre à Washington, sous le patronage des Etats-Unis et en présence du président de la Banque Mondiale (BM), David Malpass, s’est soldée par un accord sur le 15 janvier 2020 comme date butoir pour parvenir à un règlement du litige opposant les trois pays au sujet du barrage de la Renaissance que construit Addis-Abeba sur le Nil bleu.
Sans préjuger de l’issue finale du contentieux, la tenue de la réunion de Washington et ses résultats sont une victoire pour l’Egypte pour plusieurs raisons. Premièrement, l’appel à la médiation d’une tierce partie ou à un arbitrage international était une demande égyptienne depuis que les négociations tripartites traînaient en longueur sans donner de résultats concrets, alors que l’Ethiopie poursuivait tambour battant la construction du barrage sans attendre que les parties en conflit parviennent à un accord. La stratégie d’Addis-Abeba était claire : faire durer au maximum les pourparlers afin de créer un fait accompli sur le terrain et imposer sa vision aux autres parties. Aujourd’hui, le barrage hydroélectrique, qui devrait être le plus grand du continent africain et le dixième au monde avec plus de 6 000 mégawatts de production électrique, est à 70 % construit, tandis que des négociations intensives durent depuis 2014, sans succès.
Compte tenu de cette stratégie, il n’était pas fortuit qu’Addis-Abeba avait toujours rejeté l’appel à une médiation ou à un arbitrage international, bien que la « Déclaration de principe » signée en mars 2015 à Khartoum par les dirigeants de l’Egypte, de l’Ethiopie et du Soudan prévoie un tel recours en cas d’achoppement des pourparlers. Ainsi, l’ancien premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn, a rejeté, en juillet 2018, l’appel lancé par l’Egypte en vue d’un arbitrage du litige par la BM. Le dernier appel égyptien à une médiation internationale, lancé après l’échec du dernier round de négociation le 5 octobre dernier, a été de même rejeté par Addis-Abeba. Le 18 octobre, le ministre éthiopien de l’Eau, Sileshi Bekele, a indiqué que son pays n’accepterait rien de plus que des pourparlers trilatéraux.
Ce n’est qu’après l’entrée en jeu des Etats-Unis et l’annonce de leur volonté de jouer le rôle de médiateur que l’Ethiopie a changé de position et accepté l’invitation lancée par le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, qui a présidé la réunion tripartite de Washington. La décision américaine est intervenue après que le président égyptien Abdel-Fattah Al-Sissi avait demandé à son homologue américain, Donald Trump, de jouer le rôle de médiateur, lors de la réunion de l’Assemblée générale des Nations-Unies à New York en septembre. La décision de Trump de faciliter les négociations sur le barrage traduit l’importance que revêtent l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan pour les intérêts américains. Washington cherche à éviter une crise aiguë dans les relations ente ces pays qui aurait un effet profondément déstabilisateur sur une région déjà confrontée à des troubles ethniques, à une difficile transition politique au Soudan et à la menace grandissante des groupes extrémistes djihadistes.
Les Etats-Unis et la BM joueront désormais le rôle d’observateurs lors des quatre prochaines réunions techniques tripartites qui auront lieu à Washington au niveau des ministres des Ressources hydriques des trois pays, tandis que leurs ministres des Affaires étrangères se rendront à Washington les 9 et 13 janvier pour évaluer les progrès accomplis, conformément à la Déclaration conjointe publiée mercredi dernier. Le Caire estime que cette présence internationale mettra des limites à ce qu’il qualifie « d’intransigeance » d’Addis-Abeba et à son opposition à parvenir à un accord qui ne porte pas de grave préjudice aux droits historiques de l’Egypte dans les eaux du Nil, dont 85 % proviennent du Nil bleu qui prend sa source dans le lac Tana en Ethiopie.
(Photo : AFP)
L’accord de Washington a également le mérite, du point de vue égyptien, d’avoir fixé une date limite, le 15 janvier, à la conclusion d’un accord, ce qui contrarie la stratégie de l’Ethiopie de gagner du temps jusqu’à l’achèvement des travaux de construction du barrage, dont la première phase de mise en service est prévue l’année prochaine alors que la dernière est attendue en 2022. Passé le délai fixé par la Déclaration de Washington sans parvenir à un accord, l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan ont accepté d’invoquer l’article 10 de la Déclaration de principe de 2015 qui prévoit le recours à la conciliation ou la médiation internationale. C’est une demande égyptienne de longue date, étant donné les atermoiements éthiopiens. Lors de la dernière réunion tripartite infructueuse tenue à Khartoum les 4 et 5 octobre au niveau des ministres des Ressources hydriques, l’Ethiopie a présenté une nouvelle proposition qui était en recul par rapport à tous les principes précédemment convenus pour le remplissage et le fonctionnement du barrage de la Renaissance. « La proposition n’incluait ni le drainage annuel minimum du barrage, ni les moyens de traiter les cas de sécheresse et de sécheresse prolongée qui pourraient survenir à l’avenir », a souligné le porte-parole du ministère égyptien de l’Irrigation et des Ressources hydriques.
L’Ethiopie a aussi refusé de discuter à Khartoum des règles de fonctionnement du barrage et a limité les négociations sur la phase de remplissage du réservoir et les règles de fonctionnement pendant cette même phase. Ce qui contrevenait aux normes internationales de coopération en matière de construction et de gestion de barrages sur des fleuves partagés et surtout à l’article 5 de la Déclaration de principe de 2015. Celle-ci stipule en outre que le remplissage du réservoir du barrage ne devrait pas commencer avant un accord tripartite sur les règles du premier remplissage et sur un mécanisme de coordination en matière de fonctionnement du barrage. Or, l’Ethiopie a prévu de commencer le remplissage du réservoir l’année prochaine, sans attendre un accord avec les pays en aval. Elle a également rejeté systématiquement toutes les propositions faites par l’Egypte en vue de réduire l’impact négatif prévu du barrage. C’est ainsi qu’elle a refusé la proposition de garantir un débit annuel de 40 milliards de m3, le considérant de nature à violer la souveraineté du pays, et a proposé à la place 31 milliards de m3, une part annuelle que Le Caire décrit comme pouvant avoir des effets catastrophiques sur la production d’électricité, l’agriculture et l’emploi. Addis-Abeba a également repoussé la proposition égyptienne d’étendre le remplissage du réservoir du barrage sur sept ans et insisté pour qu’il se termine en trois ans, sans tenir compte de la forte réduction que cette courte période pourrait provoquer sur la quote-part de l’Egypte des eaux du Nil.
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