La Russie élargit sa présence militaire en Syrie. Elle a révélé, le 26 septembre, un plan d’agrandissement de sa base aérienne à Hmeimim, dans la province de Lattaquié, sur la côte méditerranéenne, où elle entend reconstruire une deuxième piste d’atterrissage, afin de desservir davantage d’avions. La Russie dispose déjà en Syrie d’une base navale dans le port de Tartous sur la Méditerranée, dont elle se sert pour ses opérations militaires dans ce pays ainsi qu’en Méditerranée orientale. Les deux pays ont prolongé en 2017 le bail de la base de 49 ans. L’accord permet à la Russie d’y maintenir jusqu’à 11 navires et sous-marins, y compris à propulsion nucléaire. La base de Tartous est la seule installation de ce type que la Russie possède à l’étranger, depuis l’époque de l’ex-Union soviétique. Elle joue, avec celle de Hmeimim, un rôle majeur dans la projection de la puissance russe au Moyen-Orient, mais aussi dans les Balkans et plus à l’ouest, le long de la Méditerranée.
L’intervention militaire de la Russie en Syrie a apporté à Moscou plusieurs avantages. Elle a permis à l’armée russe de tester et de démontrer les capacités de son armement. Ses attaques militaires comprenaient la première utilisation au combat de divers types de munitions à guidage de précision. La Russie s’est également servie de la Syrie comme terrain d’essai pour ses capacités de guerre électronique. Sa participation de premier plan au combat contre Daech depuis septembre 2014 a forcé les Etats occidentaux, en tête desquels les Etats-Unis, à coordonner leurs opérations avec elle, chose inimaginable depuis que l’Occident avait imposé en mars 2014 des sanctions économiques contre Moscou en raison de son annexion de la Crimée et de son soutien militaire aux séparatistes dans la région de Donbass, à l’est de l’Ukraine.
La Russie avait plusieurs raisons d’intervenir dans l’est de la Méditerranée. L’aide militaire décisive apportée par le Kremlin au président Bachar Al-Assad à partir de fin septembre 2015 a permis à ce dernier de modifier progressivement les rapports de force en sa faveur et de se maintenir au pouvoir. Outre la protection et le maintien d’un allié de longue date, l’objectif de la Russie était toujours de projeter les effets de sa campagne militaire en Syrie au Moyen-Orient et au-delà. Le conflit en Syrie a toujours été perçu à Moscou comme un outil permettant de mettre en valeur les ambitions de la Russie en tant que puissance mondiale, après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. C’est ainsi que Moscou a pu renforcer sa nouvelle alliance avec la Turquie et l’Iran et acquérir davantage de poids face aux Etats-Unis. Sa stratégie lui a permis d’assurer un accès à toutes les parties prenantes au conflit, de devenir un acteur incontournable et d’avoir un poids décisif dans tout règlement politique futur, même si la voie vers une solution négociée et la reconstruction du pays sera cahoteuse.
La flotte russe dans la base de Tartous.
C’est ainsi que les négociations d’Astana (Kazakhstan), en vue d’un règlement politique en Syrie, que la Russie dirige en collaboration avec la Turquie et l’Iran, ont totalement éclipsé et volé la vedette à celles de Genève, parrainées par les Nations-Unies et soutenues par l’Occident. L’action de Moscou a été grandement facilitée par le désengagement des Etats-Unis du monde arabe et du Moyen-Orient depuis l’époque de l’ex-président Barack Obama. Malgré les différences de style et de discours, le président Donald Trump partage avec son prédécesseur le désir de réduire l’implication américaine dans les conflits de la région, y compris en Syrie. La Russie a profité de l’immense vide créé par le retrait américain des affaires du monde arabe pour devenir la force militaire et politique dominante dans la région.
Le président Vladimir Poutine perçoit même l’abandon de la Syrie par Donald Trump comme une victoire personnelle qui ajoute beaucoup à son capital politique. Le désengagement américain a mis en cause plusieurs responsables de l’Administration américaine ainsi que des députés au Congrès ne partageant toutefois pas ce qu’ils décrivent comme un « abandon » par Trump du monde arabe et du Moyen-Orient au sens large. On se souvient que l’ancien secrétaire à la Défense, James Mattis, a démissionné en décembre dernier pour protester contre la décision de Trump de retirer les quelque 2000 militaires américains encore présents en Syrie, dans le nord-est et dans la région d’Al-Tanf (centre) à la frontière avec la Jordanie. A l’époque, Trump a justifié sa décision par la défaite totale de Daech.
Mais il a été immédiatement désavoué par le département de la Défense qui a maintenu que Daech n’avait pas été complètement défaite et que le retrait militaire américain pourrait l’aider à se ressaisir et à retrouver des forces. Ces responsables politiques ainsi que militaires aux Etats-Unis s’inquiètent surtout de l’accroissement et de l’affirmation de la puissance politique et militaire de la Russie en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient, et soutiennent que le retrait militaire américain de la Syrie sape la crédibilité de leur pays vis-à-vis de ses alliés dans la région.
Le département de la Défense en particulier considère la Russie, ainsi que la Chine, comme une puissance « révisionniste » qui conteste et combat les intérêts des Etats-Unis et s’emploie à saper leur suprématie dans le monde. La nouvelle doctrine militaire américaine annoncée en 2018 les estime plus dangereuses et menaçantes pour les intérêts américains que le terrorisme islamiste. Elle soutient qu’avec leur désengagement du Moyen-Orient, les Etats-Unis risquent de céder les rênes de l’avenir dans la région à la Russie et à d’autres puissances régionales, tel l’Iran, qui dispose d'une forte présence en Syrie, en Iraq, au Yémen et au Liban. Les détracteurs américains de la politique de Washington en Syrie croient que les Etats-Unis avaient sous-estimé la capacité de la Russie à gagner en influence régionale en intervenant en Syrie pour soutenir Bachar Al-Assad. L’intervention militaire russe dans le conflit syrien a, en effet, poussé la plupart des gouvernements du Moyen-Orient à resserrer leurs liens avec la Russie dans de nombreux secteurs: politique, économique, militaire et énergétique, afin de bénéficier de son ascendance dans la région et de se prémunir contre les effets du désengagement des Etats-Unis et de leur manque de crédibilité.
A titre d’exemple, l’Iraq a ouvert, en octobre 2015 à Bagdad, un centre de partage de renseignements avec la Russie, pour faciliter la coopération entre les armées des deux pays. Même Israël, l’allié le plus fidèle des Etats-Unis au Moyen-Orient, a dû se rapprocher de la Russie pour contrer l’influence de la République islamique en Syrie. Il a ainsi réussi à obtenir l’acquiescement de Moscou à sa campagne contre la présence militaire de l’Iran près de sa frontière.
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