SI linguistiquement le mot impasse signifie une petite ruelle dans un village, cela signifie que l’impasse est caractéristique de la campagne. Et si l’on dit que le discours religieux est dans l’impasse, cela veut dire qu’il se distingue par une étroitesse d’esprit, qu’il est autosuffisant, fermé sur lui-même et hostile à tout ce qui refuse de le reconnaître comme tel, au point de terroriser les contestataires et les menacer de mort.
La question qui se pose est donc: comment sortir de cette impasse? J’ai comme élément de réponse une histoire qui a commencé quand j’étais étudiant en deuxième année du département de philosophie à l’Université Fouad Ier en 1945. J’ai réalisé à cette époque que j’étais pris en tenailles entre d’un côté les étudiants communistes et de l’autre les Frères musulmans. Le conflit entre les deux camps était exacerbé, parce que les uns comme les autres vivaient dans l’impasse. Je me suis alors demandé: que devait-il se passer dans leur tête pour qu’ils en arrivent là? Je fréquentais alors une librairie qui vendait des livres d’occasion où j’ai trouvé un livre du philosophe allemand Emmanuel Kant intitulé Critique de la raison pure.
Je l’ai lu deux fois et je me suis arrêté sur une partie de l’introduction où il explique que l’esprit humain est condamné à faire face à des questions inévitables, des questions qui se posent à lui, mais auxquelles il est incapable de donner une réponse, des questions qui tournent autour du concept de l’absolu, que l’on appelle Dieu ou l’Etat. Le fait est que de nombreuses tentatives ont été faites par l’homme à la recherche de cet absolu sans que son esprit soit capable de le saisir.
Si l’esprit ignore sa propre impuissance, il devient comme un paysan dans l’impasse. C’est le cas du discours religieux de celui qui s’imagine qu’il est capable de saisir l’essence de Dieu. Notons qu’il existe dans toutes les religions des doctrines qui évitent l’impasse. Citons l’exemple de la Jahmiya de Jahm Ibn Safwan, selon laquelle Dieu est dépourvu d’attributs, et dans le christianisme, celui du mouvement réformateur de Martin Luther et son interprétation libre des Ecritures. Dans ces mouvements religieux, le dogmatisme n’a pas droit de cité.
Plus récemment, en 2016, j’ai découvert un livre intitulé La Guerre des civilisations n’aura pas lieu: coexistence et violence au XXIe siècle. Son auteur, Raphaël Liogier, est un philosophe et sociologue français, également célèbre pour son essai Le Mythe de l’islamisation. Liogier reprend Kant en soulevant la question de l’impossibilité de saisir l’absolu, parce que celui-ci ne peut faire l’objet d’aucune science. « Kant critique les prétentions absurdes d’une raison pure qui chercherait à connaître le divin par la représentation », poursuit-il.
Ce qu’il nous faut désormais c’est un projet d’interprétation des textes religieux dans un contexte social et actuel. Et si l’herméneutique est au centre de la philosophie d’Averroès, celui-ci aura donc précédé Kant dans la tentative de libérer l’esprit de l’illusion de posséder la vérité absolue.
Une question se pose toutefois: pourquoi le terrorisme à caractère religieux est-il devenu populaire? Réponse: En raison de la prévalence de l’intégrisme religieux qui rejette l’exercice de la raison dans l’interprétation des textes religieux et qui tue ceux qui osent cet acte rationnel. Le fondamentalisme islamique, cependant, dépasse les autres fondamentalismes en allant encore plus loin: il déteste la civilisation occidentale au point de réclamer sa destruction.
Dans son livre L’Avenir de cette religion, Sayed Qotb, le théoricien de l’Organisation internationale des Frères musulmans, affirme que l’Europe est atteinte de schizophrénie et est de ce fait détachée de la réalité et de l’avenir. Il souligne que l’Europe a traversé trois époques: la réforme religieuse, les Lumières et la Révolution industrielle. Ce qu’il faut, selon lui, c’est la destruction de ces époques pour que l’Europze revienne sur la trajectoire naturelle de la civilisation humaine, à savoir la trajectoire agricole, ou plus précisément paysanne. Si la vision de Sayed Qotb s’avère vraie, l’impasse du discours religieux s’étendra au discours culturel .
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