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Risque de fragmentation au Yémen

Dimanche, 18 août 2019

Le vide créé par le retrait partiel des troupes des Emirats Arabes Unis (EAU) du Yémen a été vite rempli: les forces du Conseil de Transition du Sud (CTS) ont rapidement contrôlé le 10 août, après quatre jours de combats contre les forces loya­listes au président Abd-Rabbo Mansour Hadi, la ville straté­gique d’Aden, siège provisoire du gouvernement yéménite; la capitale Sanaa étant occupée par les rebelles houthis depuis sep­tembre 2014. Sous la menace d’attaque militaire par l’Arabie saoudite, qui dirige une coali­tion contre la rébellion houthie, les forces du CTS se sont reti­rées samedi 17 août de certains postes-clés de la ville, à l’excep­tion des camps militaires gou­vernementaux qui leur main­tiennent un contrôle effectif de la ville.

Le CTS ne cache pas ses visées sécessionnistes. Depuis l’unification des deux Yémen, du Nord et du Sud, en 1990, les séparatistes guettaient l’occa­sion pour recouvrer l’indépen­dance du Sud. Ils ont cependant mis leurs aspirations en sour­dine lorsque les rebelles houthis ont pris le contrôle de la capi­tale. Ils ont ensuite rejoint la coalition militaire anti-houthie dirigée par l’Arabie saoudite, estimant que cette alliance serait le meilleur moyen de faire valoir leur revendication de séparation avec le Nord. Ils se targuent d’avoir été la force motrice der­rière de nombreuses victoires remportées par la coalition au cours des quatre dernières années. Mais ils se plaignent de ne pas avoir été en retour adé­quatement inclus dans le gou­vernement ou dans les négocia­tions de paix avec les Houthis, qui se sont tenues en Suède en décembre dernier. Ils se plaignent également de la cor­ruption qui sévit au sein du gou­vernement et de l’échec de sa stratégie militaire face aux rebelles. En fait, la guerre civile au Yémen n’a fait que raviver les vieilles tensions entre le Sud et le Nord. Les deux pays sont entrés en guerre à deux reprises, en 1972 et 1979. L’unification de 1990 n’a pas guéri les vieilles blessures. Les combats ont à nouveau éclaté en 1994.

Grâce à leur alliance avec la coalition anti-Houthis, des dizaines de milliers de sépara­tistes sudistes ont reçu une for­mation militaire et armés par les EAU. La stratégie de ces der­niers reposait sur le maintien d’une présence légère de ses propres troupes sur le terrain, tout en propulsant les milices yéménites qu’ils soutenaient et formaient en première ligne des combats contre les Houthis. Ce soutien des EAU, en particulier la formation militaire, a proba­blement renforcé la cause des séparatistes. Le 11 mai 2017, les dirigeants séparatistes procla­ment le CTS, une autorité paral­lèle destinée à diriger le Yémen du Sud. En octobre de la même année, un parlement sudiste de 303 membres est formé.

La prise de contrôle d’Aden, ancienne capitale du Yémen du Sud, est intervenue après que le CTS a accusé le parti Al-Islah, allié au président Hadi, de com­plicité dans l’attaque d’un mis­sile houthi sur ses forces. Les séparatistes soupçonnent ce parti affilié aux Frères musul­mans de collaborer avec les Houthis pour faire échec à leurs aspirations. Ils évoquent une série d’attaques contre les forces du CTS, notamment la récente attaque au missile contre un défilé militaire près d’Aden, qui a tué le commandant le plus haut placé du groupe, connu par son surnom, Aboul Yamama.

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La décision des séparatistes sudistes de prendre le contrôle d’Aden risque de fragmenter le Sud du Yémen au moment où les Nations-Unies s’efforcent de relancer les pourparlers de paix afin de mettre fin à la guerre qui a duré quatre ans et demi et qui a poussé des millions de per­sonnes au bord de la famine. Le conflit armé au Yémen se déroule dans un paysage poli­tique éclaté, caractérisé par un patchwork de groupes armés locaux, avec leurs propres agen­das, souvent concurrents. Leur loyauté est inconstante, les com­battants étant attirés par le plus offrant. Le contexte se distingue également par de longues guerres de territoire, des inimi­tiés tribales et des factions opportunistes cherchant à étendre leurs fiefs. Le contrôle d’Aden par les séparatistes risque ainsi de provoquer des conflits internes dans le Sud avec d’autres groupes militants, comme l’organisation terroriste d’Al-Qaëda qui fait partie des nombreuses forces déstabilisa­trices au Yémen.

La décision du CTS oblige l’Arabie saoudite à intervenir pour tenter de maintenir la cohé­sion de la coalition militaire qu’elle dirige contre les Houthis. Elle met également en lumière les divergences de vues et d’in­térêts entre les deux principaux membres de la coalition anti-Houthis, l’Arabie saoudite et les EAU, qui partagent cependant le même objectif global de repous­ser l’influence régionale de l’Iran. Abu-Dhabi est en désac­cord avec Riyad sur l’inclusion dans le gouvernement de Hadi de membres du parti Al-Islah, de la mouvance des Frères musul­mans, une organisation que les EAU qualifient de terroriste et dont ils ont réussi à limiter le nombre au cours des dix der­nières années. Tandis que l’Ara­bie saoudite considère Al-Islah, principale formation islamiste du Yémen, comme vital dans la lutte contre les Houthis, soute­nus par l’Iran, et pour la recons­truction du pays, les EAU s’op­posent à tout rôle important pour ce parti politique en raison de ses liens avec les Frères musul­mans, un mouvement régional que les dirigeants émiratis considèrent comme une menace intérieure et une force islamiste radicale dans le monde arabe. Ceci explique le soutien apporté par les EAU au CTS dans le but de mettre en déroute les isla­mistes et les djihadistes.

D’autre part, l’Arabie saoudite est résolument engagée à com­battre les Houthis, qui menacent sa frontière sud, et à rétablir le gouvernement internationale­ment reconnu dans la capitale Sanaa. En compétition et en conflit avec l’Iran, premier sou­tien régional des Houthis, l’Ara­bie saoudite ne peut pas se per­mettre de laisser ces derniers dominer le pouvoir au Yémen au risque de se trouver assiégée par des alliés de Téhéran, au sud comme au nord, en Syrie et en Iraq. En revanche, les EAU investissent moins dans le sou­tien au président Hadi et ont d’autres intérêts en jeu. Ils tiennent en premier lieu à défendre leur position de plate­forme commerciale et logistique dans la région du Golfe et, par conséquent, à protéger la liberté de navigation dans les voies maritimes régionales, comme le détroit d’Hormuz, le golfe d’Aden et le détroit de Bab Al-Mandeb, reliant l’océan Indien à la mer Rouge et la Méditerranée. C’est pour cela qu’ils se sont positionnés dans le Sud du Yémen, dans le port stratégique d’Aden, les régions côtières longeant le golfe d’Aden et l’île stratégique de Socotra en mer d’Arabie.

La crise internationale avec l’Iran est également révélatrice des différences de vues entre les deux alliés du Golfe. Alors que le président américain Donald Trump, soutenu par Riyad, a accru la pression exercée sur le régime de Téhéran ces derniers mois, les EAU, sentant le danger de la conséquente escalade mili­taire, ont agi avec une extrême prudence. Ils ont résisté aux pressions régionales et améri­caines de blâmer directement et publiquement les forces ira­niennes pour avoir saboté des navires de transport de marchan­dises dans le Golfe cet été et ont récemment envoyé une déléga­tion de responsables de leur marine nationale rencontrer leurs homologues iraniens pour tenter de désamorcer une crise régio­nale naissante. La montée de la tension dans le Golfe et l’impré­visibilité de Trump ont probable­ment persuadé les dirigeants émiratis de s’engager dans une voie différente. Un déclenche­ment des hostilités entre les Etats-Unis et la République isla­mique serait particulièrement préjudiciable aux EAU, un important centre financier et tou­ristique de la région. Une attaque qui aurait touché le sol des EAU ou endommagé leurs infrastruc­tures stratégiques serait dévasta­trice, car elle compromettrait leur réputation de l’un des pays les plus dynamiques de la région sur le plan économique. Ces inquiétudes ont probablement aussi poussé Abu-Dhabi à annon­cer le retrait progressif de ses forces du Yémen.

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