Il existe sans doute une atmosphère explosive, un risque d’escalade entourant une crise à multiples facettes entre Washington et Téhéran. Une crise qui « menace la sécurité dans le Golfe persique et le détroit d’Ormuz » et qui remonte au retrait américain de l’accord sur le nucléaire ainsi qu’à l’imposition de nouvelles sanctions contre l’Iran, notamment un embargo pétrolier. Une crise qui s’est ensuite élargie avec l’entrée en jeu de la Grande-Bretagne après l’arraisonnement par l’Iran d’un pétrolier battant pavillon britannique dans le détroit d’Ormuz et par Londres d’un pétrolier iranien à Gibraltar. Malgré toutes ces complications, les parties impliquées, précisément Washington et Téhéran, semblent privilégier la solution diplomatique et exclure l’option militaire.
Cette option bute de temps en temps sur une déclaration belliqueuse ici ou là, mais à Washington, l’heure est désormais à l’apaisement. Surtout avec la précampagne présidentielle et les différends du président américain, Donald Trump, avec le Congrès. En fait, Trump n’est plus en mesure de s’engager dans une guerre, surtout pas contre l’Iran, étant donné que la communauté internationale, à part quelques rares exceptions, ne favorise pas la solution militaire. Ses alliés européens veulent surtout encourager l’Iran à respecter l’accord nucléaire et cherchent par tous les moyens à contourner les sanctions qui pèsent sur ce pays. Les Européens ont rejeté l’idée américaine d’une coalition pour garantir la sécurité maritime dans le Golfe arabo-persique et les détroits d’Ormuz et de Bab Al-Mandab, comme ils avaient auparavant rejeté un projet britannique similaire.
Le président américain est confronté à un désintérêt international, notamment européen, de son discours belliqueux envers l’Iran, sans parler de la Russie et la Chine qui veulent disputer aux Etats-Unis l’hégémonie dans le Golfe et au Moyen-Orient. Trump souhaitait former une coalition internationale contre l’Iran, semblable à celle qui fut créée contre l’Iraq ou à celle actuellement engagée dans la guerre contre Daech. Après son échec, il a voulu exploiter la tension entre l’Iran et la Grande-Bretagne pour recentrer la crise avec l’Iran sur la sécurité du Golfe plutôt que sur le nucléaire.
Mais il s’est heurté au refus européen aussi bien pour son projet de coalition que pour celui de la Grande-Bretagne qui appelait à la création d’une force européenne pour sécuriser la navigation des pétroliers dans le Golfe. La France a joué un rôle primordial dans la mise en échec des desseins britanniques. Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a affirmé devant le parlement français que son pays engage « en ce moment une initiative européenne avec les Britanniques, avec les Allemands, pour faire en sorte qu’il y ait une mission de suivi et d’observation de la sécurité maritime dans le Golfe ». Il est clair dans ces propos que les termes « suivi » et « observation » n’ont rien à voir avec la « force de sécurité maritime » voulue par le Royaume-Uni.
Ensuite, l’initiative russe, appuyée par la Chine, est venue donner une perspective plus large allant au-delà du bras de fer Washington-Téhéran au sujet de l’accord nucléaire, et de la crise — montée de toutes pièces — concernant la sécurité de la navigation dans le Golfe. La proposition russe a, en effet, placé le problème dans un contexte plus large, celui de la sécurité régionale au Moyen-Orient et du rôle des puissances internationales dans le maintien de cette sécurité. Les Russes ont déconseillé le déploiement permanent de forces étrangères dans la région, tout en soulignant l’importance de la lutte antiterroriste et en prônant le concept de sécurité collective dans le Golfe. La Russie a également proposé la création d’une organisation sécuritaire régionale réunissant les pays de la région et qui accepterait en son sein en tant qu’observateurs d’autres pays comme la Russie, les Etats-Unis, l’Inde, la Chine, ou encore l’Union Européenne (UE).
Une nouvelle réalité a commencé à s’imposer non seulement aux Etats-Unis, mais également au Royaume-Uni, l’arrivée de Boris Johnson, surnommé le « Trump Britannique », à la tête de l’exécutif. Johnson est confronté à deux situations complexes: la première est une double crise interne, d’abord au sein de son propre parti, le Parti conservateur, miné par les divisions politiques, et la seconde avec le Parti travailliste, principal parti d’opposition, qui s’oppose, comme des millions de Britanniques, au Brexit. Quant à la deuxième crise à laquelle Johnson fait face, elle se situe au niveau de l’UE, après qu’il avait affirmé que le Royaume-Uni était prêt à quitter l’UE « avec ou sans accord », le 31 octobre.
Tout cela signifie que Johnson n’est pas dans une situation qui lui permet de s’engager dans une guerre contre l’Iran, ni même de s’impliquer dans une crise régionale. Tout ce qu’il peut souhaiter, c’est de trouver une issue à cette affaire de navires dans laquelle il s’est trouvé empêtré. Johnson a désespérément besoin d’un « cadeau iranien » qui lui permettrait d’améliorer sa posture dans son pays et vis-à-vis de l’UE. Il se peut que la visite à Téhéran du ministre omanais des Affaires étrangères, Youssef ben Alaoui, se solde par un tel cadeau qui pourrait prendre la forme d’une « libération simultanée » des deux pétroliers.
Trump n’est pas dans une meilleure situation, lui aussi a grand besoin d’un cadeau iranien qui lui sauverait la face tout en renforçant sa position électorale. C’est ce qui pourrait expliquer la déclaration de son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, qui s’est dit prêt à se rendre à Téhéran. Les médiations de l’Iraq et d'Oman seraient peut-être les prémices d’un règlement, avec le minimum de dégâts, de cette crise.
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