De nombreuses études ont dernièrement essayé de dessiner la carte de la nouvelle gauche européenne, ou plutôt la gauche postmoderne (humaniste), qui se distingue de la gauche classique. Il s’agit de définir la gauche postmoderne, de retracer son cheminement historique, de présenter ses théoriciens, d’éclaircir les questions qu’elle pose et leur importance pour la pensée humaine, et enfin de découvrir la dynamique des partis et des mouvements de gauche en Europe.
D’après l’historien marxiste Perry Anderson, auteur de Lineages of The Absolutist State (l’Etat absolutiste, ses origines et ses voies), la gauche postmoderne se distingue de la gauche classique (et des tentatives de la renouveler dans les années 1960), par l’intérêt qu’elle accorde à l’interaction entre les êtres humains et leur environnement, ce qui échappait complètement à la gauche classique. La nouvelle gauche s’est affranchie du poids de l’idéologie et de la mobilisation. Premièrement, sur le plan intellectuel, la gauche postmoderne est plus libérale que le marxisme historique qui fut associé à des courants comme le léninisme, le trotskisme, le maoïsme, etc. La nouvelle gauche a profité des critiques formulées par les promoteurs du renouvellement de la gauche dans les années 1950 et 1960 et a essayé de comprendre les développements qui se sont produits dans la société moderne à la lumière de la mondialisation et de la révolution technologique. La littérature de la gauche postmoderne comprend non seulement des critiques, mais aussi des idées radicales dans de nombreux concepts et sujets tels que l’histoire, la démocratie, le rôle des intellectuels d’avant-garde, l’éthique, les classes, la définition de l’ouvrier révolutionnaire, la place centrale de la classe ouvrière, etc.
En outre, la gauche postmoderne est pleinement engagée dans des dossiers émergents tels que le post-féminisme, les conflits d’identité, l’impact de la technologie et du numérique sur les classes sociales, l’inégalité historique entre une minorité riche et une majorité pauvre, le capitalisme moderne, l’impact de la mondialisation sur l’Etat-nation, les velléités indépendantistes de certains groupes ethniques, l’exacerbation des problèmes liés à la citoyenneté, la montée des impérialismes non-occidentaux, etc.
Deuxièmement, nous noterons que les symboles de la gauche postmoderne se sont libérés de la domination partisane. Alors que Lénine était lié à la démocratie socialiste russe et Gramsci au parti communiste italien, la nouvelle gauche évolue comme un « courant » visant à influencer la société à travers de multiples voies, sans être associée à un parti. En effet, l’une des caractéristiques de la pensée de la gauche postmoderne est qu’elle s’éloigne de la lutte des partis, des mouvements et des groupes sociaux, sans toutefois perdre contact avec les nouveaux mouvements revendicateurs et de contestation. En effet, de nombreux mouvements européens apparus au cours de la dernière décennie, tels que le mouvement espagnol Podemos, s’inspirent des idées d’Ernesto Laclau, de Chantal Mouffe et d’autres.
L’émancipation intellectuelle et politique des symboles de la gauche postmoderne leur a permis de communiquer directement avec les citoyens et d’influencer les divers mouvements civiques sans revendiquer une quelconque autorité politique. Et ce, grâce à leurs idées qui mettent en avant deux valeurs fondamentales, à savoir la liberté et l’égalité, tout en soulignant l’obsolescence de l’équation politique en vigueur depuis la Seconde Guerre mondiale et qui consiste à faire alterner au pouvoir le centre droite et le centre gauche, un arrangement que l’Europe occidentale a trouvé commode.
Il serait temps de bouleverser la structure politique qui existe depuis des décennies pour accueillir le mouvement citoyenniste européen qui cherche une refonte institutionnelle, intellectuelle, sociale et politique.
Le livre Hémisphère gauche: Une cartographie des nouvelles pensées critiques présente les idées de plus de 30 grands penseurs européens influents comme Robert Cox, David Harvey, Toni Negri, Michael Hardt, Nancy Fraser, Fredric Jameson, Erik Olin Wright, Giovanni Arrighi, Slavoj Zizek, Judith Butler, Jacques Rancière et d’autres... Alors que le livre Mapping The European Left, édité en 2016 par la fondation Rosa Luxemburg, suit les nouveaux mouvements et les partis de gauche dans une vingtaine de pays européens, ainsi que leur représentation dans les parlements nationaux et le Parlement européen, et leurs liens avec d’autres mouvements et partis… A suivre
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