L’escalade sans précédent entre les Etats-Unis et l’Iran fera des gagnants et des perdants. Au premier rang des gagnants figure la Russie qui devrait en tirer des gains stratégiques, politiques et économiques. Moscou devrait d’abord profiter économiquement des sanctions américaines contre l’industrie pétrolière de l’Iran. Maintenant que les clients pétroliers de Téhéran, tels l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, l’Italie et la Grèce, cherchent de nouveaux fournisseurs, la Russie, grande productrice et exportatrice de pétrole et de gaz naturel, en profitera pour accroître — autant que les pays arabes du Golfe— ses parts du marché des hydrocarbures. Elle profitera également de l’augmentation consécutive à la crise américano-iranienne, des prix du pétrole. Ceux-ci sont en hausse de 30% par rapport à l’année dernière.

(Photo:AFP)
Sur le plan stratégique, Moscou se frotte les mains de voir les Etats-Unis entraînés dans une guerre froide prolongée contre l’Iran, à moins que la crise ne se transforme en affrontement militaire. Pour se préparer à un conflit majeur avec la République islamique, les Etats-Unis seraient contraints de réduire leur attention sur le flanc oriental de l’Europe, frontalier de la Russie, laissant ainsi à cette dernière plus de temps et de souffle pour consolider sa position. Par ailleurs, une campagne américaine anti-iranienne, qui jusqu’ici se définit davantage par une rhétorique belliqueuse et moins par une action, soutient l’affirmation de la Russie, déjà validée en Syrie et au Venezuela, selon laquelle les Etats-Unis se bornent à brandir la menace de la force pour intimider leurs ennemis, afin d’obtenir les résultats escomptés, et manquent de volonté de projeter leur puissance. La tension américano-iranienne devrait aussi profiter aux relations de la Russie avec l’Europe. A la suite de la crise en Ukraine en 2014, les alliés européens des Etats-Unis, gros importateurs d’hydrocarbures, étaient plus enclins à approuver des sanctions sévères à l’encontre de la Russie, en partie parce que l’accord sur le nucléaire iranien offrait de nouvelles possibilités d’obtenir du pétrole et du gaz naturel. Ces partenaires européens de Washington, qui ont mal digéré les sanctions pétrolières américaines contre l’Iran, sont aujourd’hui beaucoup moins enclins à imposer des sanctions à la Russie.

Donald Trump
Enfin, la crise entre les Etats-Unis et l’Iran, où Washington se trouve isolé parmi ses alliés du camp occidental, est également l’occasion pour la Russie de ternir l’image des Etats-Unis et de les rendre responsables de la détérioration de la situation au Moyen-Orient. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a ainsi profité de sa récente rencontre à Moscou avec son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, pour accuser les Etats-Unis d’être « responsables de la situation qui est difficile pour l’Iran de remplir ses obligations » et complique « l’état général du régime de non-prolifération nucléaire ». Ceci dit, la Russie n’est pas particulièrement satisfaite des derniers développements et ne souhaite pas l’effondrement de l’accord international sur le nucléaire iranien auquel elle a pris une part active. Mais puisque les Etats-Unis se sont retirés de l’accord, il y a un an, Moscou peut reprocher à Washington son échec imminent. Cette accusation alimente son discours critique vis-à-vis des politiques américaines au Moyen-Orient et dans le monde en général. Sur le plan politique, il faut s’attendre à un resserrement des liens entre la Russie et l’Iran. La récente conjoncture les avait déjà rapprochés, que ce soit dans la mise en oeuvre de l’accord sur le nucléaire iranien ou dans la coordination de leurs actions militaires en Syrie, en soutien au régime du président Bachar Al-Assad. Face à la pression croissante des Etats-Unis, Moscou et Téhéran devraient se rapprocher davantage sur le plan politique, économique et militaire. Au niveau de la défense, les deux pays ont annoncé début mai qu’ils organiseraient cette année des exercices militaires dans le Golfe. Ce n’est certes pas la première fois que la Russie et l’Iran mènent de tels exercices. La mer Caspienne a été le théâtre de manoeuvres similaires en 2015 et 2017. Mais ce qui distingue l’annonce du nouvel exercice, c’est qu’il intervient dans le contexte de l’escalade américano-iranienne et indique un soutien russe à Téhéran.
La Russie serait notamment tentée d’exploiter la vive préoccupation de Washington à l’égard de Téhéran pour obtenir des concessions des Etats-Unis dans d’autres domaines, comme les sanctions économiques, l’Ukraine et le contrôle des armements. Moscou pourrait ainsi renforcer sciemment son soutien à l’Iran au cours des prochaines semaines afin d’accroître son poids face à Washington. Ce soutien pourrait prendre plusieurs formes économiques et/ou de défense, comme une aide à contourner les sanctions américaines contre les ventes du pétrole iranien, ou l’envoi de personnel russe, de missiles et d’autres armes sur les sites nucléaires (construits avec l’aide de la Russie) et militaires sensibles pour compliquer la tâche de l’armée américaine en cas de frappes.

Vladimir `Poutine
Les rapports entre la Russie et l’Iran ne sont cependant pas dénués de susceptibilités et de suspicions. Ils sont historiquement teintés de méfiance, ce qui pose des limites à leur rapprochement. C’est pour cette raison que les deux puissances sont souvent des partenaires de convenance plutôt que de conviction. A titre d’exemple, l’Iran a montré, après la signature de l’accord sur le nucléaire en 2015 et la levée des sanctions, qu’il préfère traiter avec les Européens dans le commerce et les investissements plutôt qu’avec la Russie, même si Téhéran continuait à coordonner ses actions militaires en Syrie avec Moscou. La Russie voudra fondamentalement préserver ses relations avec Téhéran, mais ne souhaite pas être perçue comme étant fermement du côté de l’Iran et encore moins se trouver compromise dans un possible affrontement militaire entre les Etats-Unis et la République islamique. A mesure que la tension monte entre Washington et Téhéran, Moscou pourrait devenir un acteur de plus en plus important pour aider ce dernier à résister aux pressions américaines. Mais la portée du soutien que pourrait apporter la Russie sera limitée par les nécessités de ménager ses relations avec certaines puissances moyen-orientales, notamment l’Arabie saoudite avec qui le Kremlin s’est employé ces derniers temps à resserrer les liens. Certes, la Russie apprécie la présence en Iran d’un régime hostile aux Etats-Unis, mais elle ne souhaite pas que Téhéran gagne en puissance militaire de nature à lui permettre de renforcer son influence en Asie mineure, une chasse gardée russe, et encore moins qu’il acquière l’arme nucléaire.

Hassan Rouhani
Pour sa part, l’Iran se félicite du soutien de la Russie au maintien de l’accord international sur son programme nucléaire et à l’allégement des sanctions qui y est prévu. Mais en raison de l’immixion historique de la Russie dans les affaires intérieures de l’Iran, Téhéran craint de trop se rapprocher de Moscou, de peur de subir à nouveau son influence écrasante et/ou de servir de monnaie d’échange dans sa rivalité avec les Etats-Unis .
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