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Egypte-Etats-Unis, les intérêts avant tout

Lundi, 08 avril 2019

Le sommet entre le président Abdel-Fattah Al-Sissi et son homologue, Donald Trump, est le 6e sommet entre les deux dirigeants en l’espace de deux ans. Le premier a eu lieu en avril 2017, seulement trois mois après l’élection de Donald Trump. Ces nombreuses rencontres, à raison de trois par an, traduisent la profondeur et l’importance des relations entre Le Caire et Washington. Un président américain se réunit rarement avec un autre chef de l’Etat plus d’une fois par an, surtout M. Trump qui dirige la politique américaine en fonction des intérêts, des gains et des pertes, la même logique qu’il utilise en gérant ses activités économiques en tant qu’homme d’affaires. Les nombreuses rencontres entre les deux présidents signifient également qu’au niveau personnel, le courant passe bien entre les deux hommes. En effet, M. Trump apprécie bien la personnalité et le leadership du président Sissi.

Mais bien avant ces sommets, M. Sissi et Trump s’étaient rencontrés deux mois avant l’élection présidentielle américaine, en marge de l’Assemblée générale de l’Onu en septembre 2016. C’est cette réunion qui a scellé les relations distinguées qui perdurent entre les deux hommes et qui a auguré de la grande avancée qui a eu lieu par la suite dans les relations officielles entre leurs deux pays non seulement dans leurs composantes économiques, politiques et militaires, mais au niveau des fondements sur lesquels elles reposent.

Dans les années 1950, les Etats-Unis ont hérité du rôle et de la présence britanniques au Moyen-Orient. En Egypte, les Officiers libres sont arrivés au pouvoir dirigés par un leader charismatique, Gamal Abdel-Nasser. Durant 20 ans, les relations entre l’Egypte et les Etats-Unis furent régies par des déterminants idéologiques des deux côtés. La vision égyptienne était dominée par l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme, tandis que la politique américaine menait le monde occidental contre le camp socialiste dirigé par l’Union soviétique. Le fossé et la tension entre Le Caire et Washington n’ont cessé de se creuser jusqu’à la mort de Nasser en 1970.

Convaincu que 99% des cartes étaient entre les mains de Washington et que le conflit avec Israël était le principal obstacle à de bonnes relations avec les Etats-Unis, Sadate a inversé la tendance. Il a changé l’équilibre des forces par la guerre en 1973 puis par la paix en 1979. Les années Sadate étaient une période de transformation des relations égypto-américaines. Une transformation dont Sadate n’a pas vu les fruits, notamment l’aide économique et militaire offerte par les Etats-Unis à l’Egypte, désormais considérée comme un allié régional fiable.

Moubarak a pris le pouvoir alors que les relations avaient bien évolué, une fois le conflit avec Israël réglé. Comme ce fut le cas avec Nasser et Sadate, la personnalité de Moubarak avait une empreinte claire sur la manière dont les relations avec Washington étaient gérées. Celles-ci n’obéissaient plus à une orientation idéologique ou à des positions préconçues, mais étaient gérées au cas par cas selon le dossier en question.

Cependant, en raison du caractère de Moubarak, la politique étrangère de l’Egypte, dominée par une volonté d’éviter tout affrontement avec Washington, correspondait dans une large mesure à celle que les Etats-Unis mettaient en oeuvre dans la région, tout en préservant certaines lignes rouges pour ce qui se rapporte à la sécurité nationale de l’Egypte ou à des questions existentielles comme la cause palestinienne.

En 2011, les relations sont entrées dans une période de turbulences et de fluctuations qui a duré cinq ans au cours desquels l’Egypte n’avait pas de vision claire des relations avec Washington. La situation du côté américain n’était pas meilleure, la politique américaine à l’égard du Caire n’était pas moins confuse en raison de l’instabilité en Egypte. En dépit de la transformation importante que l’Egypte a vécue en 2013 et de la réorientation de sa politique étrangère en fonction de ses intérêts, la confusion et les ambiguïtés de la position américaine ont persisté du fait de la présence de Barack Obama à la Maison Blanche.

Cette situation s’est maintenue pendant trois ans, au cours desquels Le Caire a poursuivi une politique étrangère guidée par ses intérêts politiques, militaires et économiques et s’est efforcé d’améliorer et de développer ses relations avec tous les pays, sans dépendre de la volonté d’une tierce partie.

Au cours des derniers mois de la présidence d’Obama, il était clair que Washington avait compris qu’il lui fallait repenser ses calculs et prendre au sérieux les changements survenus en Egypte, notamment l’avènement d’un nouveau leadership déterminé à gérer les affaires et la politique de l’Etat avec pragmatisme et loin de toute pression intérieure ou étrangère.

Ainsi, dès l’élection de Donald Trump, les relations avec les Etats-Unis se sont renforcées et sont rapidement entrées dans une nouvelle phase de coopération, de coordination et de compréhension à tous les niveaux. Le critère, convenu implicitement et explicitement, est celui des intérêts et du calcul des gains et pertes.

Sur le plan politique, les nombreuses crises régionales nécessitent une coordination ou au moins une consultation entre Le Caire et Washington, notamment le conflit israélo-arabe, le défi iranien, en passant par les crises en Syrie, au Yémen et en Libye. Sur le plan économique, l’aide annuelle américaine d’environ 1,3 milliard n’a plus de poids important dans l’économie égyptienne. Par conséquent, elle ne peut être considérée comme une contrainte pour la politique égyptienne. Le Caire et Washington sont conscients que l’aide économique n’est pas éternelle, et ne la considèrent pas comme un élément déterminant de leurs relations.

Le déséquilibre de la balance commerciale en faveur des Etats-Unis représente un aspect négatif pour l’Egypte qui tente de redresser la barre en cherchant à augmenter les investissements américains, notamment dans les projets industriels. Pour le volet des relations sécuritaires, la question du « terrorisme » est la plus importante. Ce dossier concerne le plus important des intérêts communs des deux pays ou plutôt des menaces communes. Il est vrai qu’il s’agit d’une préoccupation globale, or, le poids des Etats-Unis à l’échelle mondiale et celui de l’Egypte à l’échelle régionale imposent à ces deux pays des responsabilités grandissantes.

Enfin, la coopération militaire avec les Etats-Unis englobe une aide militaire directe, des manoeuvres et des exercices conjoints, le transfert d’expertise et la formation de cadres, outre l’échange des informations et la coordination entre les services de renseignements des deux pays. Cela dit, Le Caire a multiplié les signaux d’une ouverture à la coopération avec d’autres pays et d’une diversification de ses sources d’armements, ce qui n’a posé aucun problème à Washington.

Bref, si Trump avait pris pour slogan « America First » (l’Amérique d’abord), la coïncidence de la présence de Sissi et de Trump à la tête de leurs pays respectifs a inscrit l’évolution des relations égypto-américaines sous le slogan « les intérêts d’abord » .

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