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La citoyenneté et les chocs de l'Histoire

Lundi, 01 avril 2019

Les observateurs suivent de près ce qui se passe en Europe et sont tous d’accord que les mouvements de protestations actuels sont beaucoup plus que de simples mouvements de revendication. Ces mouvements sont également trop complexes pour être placés sous une étiquette bien définie: nationaliste, gauche ou nouvelle gauche, populiste, ou autre. Il serait tout aussi injuste d’accuser un quelconque groupe culturel, racial ou social d’être derrière ces mouvements. En fait, de nombreux penseurs, chercheurs et hommes politiques s’accordent à dire qu’il s’agit d’une transformation aussi importante qu’harmonieuse qui engage des « masses humaines » de personnes de différentes affiliations. Ce qui nous a amenés à parler d’un mouvement citoyen qui bénéficie de l’appui de larges couches de la population.

Ce mouvement « citoyenniste » dépasse les idées des philosophes politiques classiques, ainsi que les textes constitutionnels et juridiques relatifs à la citoyenneté et les interprétations intellectuelles élaborées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par le sociologue britannique Thomas Humphrey Marshall (1893-1981) dans son essai « Citoyenneté et classe sociale ». Ce sont ces écrits qui ont transposé le concept des domaines de la philosophie politique et de la jurisprudence constitutionnelle à la sphère socioéconomique. Ce qui nous a inspirés en parlant de la citoyenneté pour les riches et les démunis dans notre réalité arabe, et en développant une définition qui considère la citoyenneté non pas comme un texte ou un principe théorique, mais comme un acte libre, vivant, dynamique et inclusif qui évoque l’égalité entre les différents groupes religieux et ethniques et qui étend cette égalité aux diverses classes sociales avec le principe de répartition équitable de la richesse qui va avec.

Dans ce contexte, les mouvements citoyens en Europe doivent être pris en compte. Les citoyens européens ont trouvé leurs besoins immédiats dans la citoyenneté (le citoyennisme) en tant que mouvement qui défend les valeurs fondamentales de justice, de liberté, de dignité... au-delà des revendications spécifiques. Ces partisans du citoyennisme sont convaincus que les idéologies, les partis et les politiques de l’après-guerre ne sont plus valables aujourd’hui, dans la mesure où ils ont mené à de nombreux traumatismes historiques, pour reprendre les termes de la philosophe italienne Giovanna Borradori, qui fait référence aux chocs subis par les peuples d’Europe au cours du XXe siècle. Il serait donc grand temps de s’en remettre.

Ces chocs se sont manifestés à cause du paternalisme culturel et intellectuel qui a poussé la jeunesse à se révolter en 1968, et à cause de la bureaucratie et de l’étatisme soviétiques. Ces modèles se sont désintégrés depuis en raison d’une perte de légitimité et des contestations populaires, à commencer par les printemps de Budapest et de Prague, et à cause du rejet populaire du néolibéralisme, jugé inhumain, et de la mondialisation, jugée humiliante pour le sentiment patriotique. Une conscience historique collective est née chez les citoyens européens qui ont réalisé que l’Europe ne s’est pas encore complètement remise des traumatismes du nazisme, du totalitarisme soviétique, de la rareté des ressources et du paternalisme culturel et intellectuel pratiqué par les institutions scientifiques et culturelles. Ajoutons à cela l’échec des idées des Lumières à établir l’humanisme tant promis: avec la fin du XXe siècle et le début du XXe les affrontements sanglants sur fond de religion font l’actualité.

En résumé, le citoyennisme est un mouvement ombrelle qui regroupe des partisans de diverses tendances intellectuelles, culturelles et politiques pour activer l’humanisme d’une part et renouveler le contrat social de l’autre, un mouvement visant à faire pression pour une révision intégrale des institutions, des réseaux dominants et des politiques en vigueur qui décident du sort de millions de personnes depuis la Seconde Guerre mondiale et dont le seul succès fut l’établissement de traditions sociales rigides. D’où cette solidarité au niveau de la base des citoyens européens malgré leurs différences pour renouveler le contexte sociétal et repenser de nombreux concepts et pratiques. Ils ont découvert que les valeurs et les idées avaient besoin d’être renouvelées et que les institutions avaient besoin d’être restructurées pour retrouver leur vitalité .

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