Dans une nouvelle volte-face, les Etats-Unis ont décidé de maintenir un « petit groupe de maintien de la paix » de 200 militaires en Syrie « pendant un certain temps », renonçant à un retrait total de ce pays, prévu d’ici fin avril. L’annonce surprise faite par la Maison Blanche le 21 février trahit la confusion et les dissensions profondes au sein de l’Administration américaine entre le président Donald Trump d’un côté, ses principaux conseillers et le Pentagone, de l’autre. Outre l’ancien secrétaire à la Défense, James Mattis, qui a démissionné en décembre dernier pour protester contre l’annonce, toujours surprise, de Trump de retirer la totalité des quelque 2000 militaires américains en Syrie, le chef du Commandement central américain (CENTCOM), chargé du Moyen-Orient, Joseph Votel, a déclaré, dans un geste rare d’un aussi haut gradé, qu’il n’était pas d’accord avec la décision de Trump de ramener au pays l’ensemble des forces spéciales américaines stationnées au nord-est de la Syrie. Cette zone, frontalière de la Turquie et de l’Iraq, est contrôlée par les forces kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), qui forment l’ossature des Forces Démocratiques Syriennes (FDS).
Les 200 militaires américains qui seront finalement maintenus en Syrie, et dont le nombre pourrait augmenter légèrement, seront répartis, selon un responsable américain qui a requis l’anonymat, entre la zone contrôlée par les Kurdes syriens et la garnison d’Al-Tanf dans le sud-est de la Syrie. Cette base militaire américaine, située dans le gouvernorat de Homs à 24 km à l’ouest du passage frontalier Al-Tanf entre la Syrie et l’Iraq, non loin de la frontière avec la Jordanie, a été créée par les forces américaines au début de 2016 pour former des combattants de « la nouvelle armée syrienne » — qui devient l’armée de commando révolutionnaire en décembre 2016— à la lutte armée contre l’organisation terroriste de Daech.
Le revirement américain tient à plusieurs raisons. La première est que, contrairement aux assertions avancées par Trump en décembre dernier pour justifier le retrait de ses troupes, Daech n’est pas totalement vaincu en Syrie. La région contrôlée par Daech a continué certes de se rétrécir au cours des derniers mois et se limite aujourd’hui à deux zones minuscules peu habitées dans l’est syrien.
(Photo:Reuters)
Mais des milliers de combattants de l’organisation terroriste se trouvent toujours en Syrie et en Iraq, et le Pentagone, ainsi que les alliés européens, craint que la décision de Trump de retirer les troupes américaines ne favorise le regroupement à nouveau de ces militants. Cette éventualité est d’autant plus probable que les forces kurdes des FDS ont menacé, après l’annonce du retrait américain, de libérer les centaines de combattants de Daech qu’elles détiennent depuis des mois, pour se concentrer sur une bataille potentielle pour leur propre existence contre la Turquie. Celle-ci avait menacé à plusieurs reprises de lancer une attaque militaire contre les Kurdes des FDS une fois que les forces américaines se seront retirées. Ankara considère que les Kurdes syriens sont des alliés des indépendantistes kurdes turcs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), combattu et déclaré organisation terroriste en Turquie.
Les Kurdes syriens, les protégés des Américains, se sentent trahis et lâchés après la décision de Trump de retirer ses troupes et cherchent à faire pression sur Washington et ses alliés européens en usant de la carte des détenus de Daech. Plus de 800 de ceux-ci, selon Washington, sont des citoyens européens, venus de France, du Royaume-Uni, d’Allemagne, d’Italie, de Belgique et d’ailleurs, et les gouvernements de leurs pays rechignent à les rapatrier, au moment où Trump fait pression sur eux pour qu’ils les reprennent afin de les traduire en justice. Or, les gouvernements européens craignent que les tribunaux ne soient pas en mesure de condamner ces combattants radicaux, en raison du manque de preuves. Ce qui les obligerait à les libérer, avec le risque qu’ils reprennent du service dans leurs propres pays. Etant donné que peu de pays sont pour le moment disposés à rapatrier leurs citoyens, les options viables pour résoudre ce dilemme sont limitées et les gouvernements occidentaux semblent avoir choisi de poursuivre l’approche qu’ils avaient suivie jusqu’à présent : le maintien de troupes en Syrie. Outre les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni gardent des forces sur place dans le cadre de la guerre anti-Daech.
La décision de Trump de maintenir une partie de ses troupes en Syrie « pendant un certain temps » va dans le même sens.
Par cette décision, Trump veut également éviter que le retrait total des Etats-Unis ne provoque une bataille entre deux de leurs alliés dans la région, les Kurdes syriens et la Turquie, un membre de l’Otan. Pour empêcher une telle escalade, Ankara, qui voulait écarter une tension avec Washington, a proposé la création d’une « zone de sécurité » d’une largeur de 20 km entre la Turquie et le territoire détenu par les Kurdes de Syrie, afin de prévenir ce qu’il a qualifié d’attaques transfrontalières commises par des combattants des YPG. Mais un retrait complet des Etats-Unis rendrait la création d’une telle zone de sécurité presque impossible, étant donné que les deux puissances restantes qui pourraient la surveiller, la France et la Grande-Bretagne, ont prévenu Trump qu’elles ne resteraient pas en Syrie s’il maintenait le retrait de ses troupes. Le secrétaire au Foreign Office, Jeremy Hunt, a totalement écarté « que les forces britanniques remplacent les Américains », alors que le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a mis en exergue les contradictions de la politique de Trump qui, tout en voulant exercer le maximum de pression sur l’Iran, décide de se retirer de la Syrie, laissant les mains libres à Téhéran pour étendre son influence.
La seule solution paraissait donc l’annonce par la Maison Blanche du maintien d’un petit groupe de maintien de la paix. Trump estime ainsi avoir concilié son désir d’un retrait américain de Syrie et les besoins de protéger les intérêts de son pays.
Mais ses retournements à répétition, et à courts intervalles, font perdre à la politique des Etats-Unis sa crédibilité aux yeux de leurs alliés et font gagner des points à leurs adversaires .
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