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La défaite de 1967 et le bilan de Nasser

Mercredi, 30 janvier 2019

A la fin d’un colloque auquel j’ai participé au Salon international du livre du Caire, un groupe de jeunes est venu me voir et l’un d’entre eux m’a interrogé sur la défaite de 1967 que certains utilisent pour ternir les années Nasser et glori­fier « l’époque des victoires » sous son successeur Anouar Al-Sadate.

J’ai dit à mon interlocuteur que l’humanité n’avait jamais connu tout au long de son histoire un leader dont la vie n’était faite que de victoires. Même les prophètes ont remporté certaines batailles et perdu d’autres. La vie de Napoléon Bonaparte s’est achevée sur une défaite militaire et un exil, mais l’histoire de la France, voire de l’humanité, ne s’est pas arrê­tée à cette scène ultime dans la vie de cet homme de génie qui a changé le visage de l’Europe et influé sur le monde entier. Il en est de même pour Gamal Abdel-Nasser qui a changé le visage du monde arabe et influé sur la plupart des pays du tiers-monde.

J’ai poursuivi: Si nous cherchons à évaluer la présidence de Nasser, de Sadate ou de n’importe quel autre dirigeant, nous devons considérer l’expérience dans sa globalité et non à travers le prisme d’un seul événe­ment, sinon on risque de tomber dans une subjectivité qui n’a rien à voir avec l’étude historique.

Ainsi, pour critiquer Sadate, on l’accusera d’être responsable du fanatisme religieux et du terrorisme que l’on affronte aujourd’hui, parce que c’est lui qui a permis l’entrée en politique des représentants de ce courant dans l’intention de les ins­trumentaliser contre la gauche. Ils ont pu ainsi se propager dans la société et exercer leur emprise sur l’esprit des gens, profitant de leur manque d’éducation, et ont fini par embrasser la violence et assassiner Sadate lui-même. Mais notre éva­luation serait-elle judicieuse si l’on ne considérait que ce seul aspect au détriment du reste de l’image ? Qu’en est-il de la glorieuse victoire d’Octobre 1973? Et l’on ne serait pas plus judicieux si l’on choisissait de mettre en évidence cette victoire et oublier tout le reste, notamment l’isolement total où se trouvait l’Egypte de Sadate: les relations diplomatiques étaient coupées avec la grande majorité des pays arabes, ainsi qu’avec l’Union soviétique et les pays de l’Europe de l’Est, alors que le Mouvement des pays non alignés menaçait de suspendre l’Egypte qui était l’un de ses membres les plus importants.

Oui la guerre de 1967 fut une défaite militaire écrasante que Nasser a pleinement assumée. En rédigeant le discours où Nasser allait annoncer sa démission, Mohamad Hassanein Heikal racontait avoir écrit: « Je reconnais ma part de responsabilité », mais le président lui a demandé de remplacer cette phrase par « J’assume toute la res­ponsabilité ».

Qu’a-t-il fait Nasser après que les masses populaires à travers le monde arabe eurent refusé son retrait de la scène politique? A-t-il continué à gouverner avec le même style et les mêmes politiques? En fait, Nasser considéra qu’en insistant à le mainte­nir au pouvoir, la population lui a confié une mission de changement. Il a tout de suite commencé à purger les éléments qui ont provoqué la défaite, à commencer par les services secrets qu’il a accusés de s’être transformés en « Etat dans l’Etat ». Salah Nasr, considéré comme un symbole de la corruption institutionnelle, a été limogé, traduit en justice et condam­né à la prison. La purge s’est étendue à plusieurs ministères, notamment celui de l’Information. Ces décisions augurèrent d’une nouvelle ère.

Cela dit, le changement majeur dans la période qui a suivi la défaite de 1967 concernait l’armée, laquelle, sous le commandement du maréchal Abdel-Hakim Amer, venait de subir une lourde perte en hommes et en armements. Quand Nasser parlait d’effacer les traces de la défaite, ce n’était pas un discours creux, mais l’expression d’une détermination politique qui a eu des implications directes sur l’armée.

L’institution militaire a expéri­menté des changements d’abord au niveau des soldats. La conscription des jeunes diplômés a changé la nature du soldat égyptien, celui-ci n’est plus le fils d’un simple ouvrier ni paysan qui s’est retrouvé dans l’armée faute de piston.

Ensuite, au niveau du réarme­ment, Nasser a réussi, après des négociations difficiles avec les diri­geants rigides du Kremlin, à conclure plusieurs contrats d’armes avec l’Union soviétique. Quant à l’entraînement, il a été assuré au cours de la guerre d’usure qui a commencé avec la destruction du contre-torpilleur israélien Eilat et qui a duré près d’un an. Durant cette guerre, Israël a goûté à la défaite, ce qui a poussé les Etats-Unis à propo­ser leur « plan Rogers », un projet de paix qui a permis à Nasser de gagner du temps pour terminer son système de missiles de défense aérienne.

A sa mort, Nasser avait déjà ratifié le plan d’assaut de la ligne Bar-Lev, élaboré par le général Mohamad Fawzi et baptisé « opération gra­nit ». C’est autour de ce plan que la guerre d’Octobre 1973 a été conçue.

Il ne faut pas non plus oublier la déclaration du 30 mars dans laquelle Nasser a détaillé sa vision pour l’avenir de la vie politique. Ce document prévoyait des libertés qui n’ont été garanties par aucun de ses successeurs. Malheureusement, la mort prématurée de Nasser à l’âge de 52 ans ne lui a pas permis de mettre ses engagements en pratique.

Dans cette perspective, la guerre de 1967, tout en étant une défaite militaire, a également été l’occasion d’un réveil national. Les grandes victoires ne sont-elles pas souvent celles qui naissent des décombres de la défaite ?

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