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Les portraits de Moustapha Sami

Lundi, 21 janvier 2019

C’était comme si j’entrais dans une galerie de portraits peints non à l’huile, mais avec des sentiments et des émotions. C’est ce que j’ai ressenti en lisant le magnifique livre Al-Ahram du XXIe siècle récemment paru chez le Centre d’édition et de traduction d’Al-Ahram, et où l’auteur Moustapha Sami relate ses mémoires du demi-siècle qu’il a passé parmi ses collègues dans sa « deuxième maison », d’abord comme journaliste, puis secrétaire de rédaction avant de devenir correspondant en France et au Canada. Dans cette galerie, l’auteur a rassemblé les personnalités qui ont bâti cet immense édifice d’Al-Ahram qui a déménagé en 1968 à la rue Galaa. Al-Ahram du XXIe siècle était justement l’expression qu’utilisait Mohamad Hassanein Heikal pour désigner le nouveau bâtiment. Même s’il raconte l’histoire d’Al-Ahram depuis l’inauguration de ses nouveaux locaux, ce livre n’offre pas une succession d’événements, mais s’intéresse plus aux hommes qui ont contribué à la grandeur de ce journal.

Les portraits

Le « bâtiment de Heikal », comme on en est venu à l’appeler aujourd’hui, était, avec le journal japonais Asahi, l’un des journaux les plus modernes à l’époque. Je me souviens encore des visites des grandes personnalités étrangères et des correspondants de la presse internationale qui venaient voir ce bâtiment ultramoderne. A l’époque, on avait à Al-Ahram un département des relations publiques et des guides qui parlaient l’anglais, le français et l’arabe pour accompagner les visiteurs dans les différents départements du journal. Ces visites ont fait couler beaucoup d’encre, que ce soit en Egypte ou à l’étranger. Je garde encore dans ma bibliothèque plusieurs volumes parus à l’étranger qui parlaient d’Al-Ahram et du bâtisseur de sa gloire, l’éminent journaliste arabe Mohamad Hassanein Heikal.

Mais ce n’est pas de cela que parle le livre de Moustapha Sami, lequel est convaincu que les accomplissements grandioses ne sont pas l’oeuvre d’une seule personne mais le plus souvent le résultat d’un travail d’équipe. C’est pourquoi il a essayé dans son livre de présenter les journalistes compétents qui ont contribué à ce miracle. Plusieurs de ces journalistes sont devenus des stars dans les milieux journalistiques et culturels, alors que d’autres sont restés inconnus du lecteur. L’auteur leur a accordé le même intérêt dans son livre.

Les portraits

Qui connaît aujourd’hui Fathiya Bahig, la première à introduire une rubrique femme dans un quotidien ? Qui connaît Naguib Kanaan, Tawfiq Bahari, Mamdouh Taha, Salah Hélal, Kamal Naguib, Salwa Habib, Mahmoud Ahmad, Farid Magdi, Nawal Al-Mahallawi, Sami Mansour, Ihsane Bakr ou Fouad Saad ? Ils ont tous à leur actif des contributions dans l’évolution de la presse égyptienne. Moustapha Sami nous présente leurs apports, ou plus précisément leurs portraits avec affection et compréhension, et s’arrête à leur carrière au même titre que les grands noms comme Naguib Al-Mestékawi, Galaleddine Al-Hamamsi, Ahmad Bahaeddine, Salah Montasser, Makram Mohamad Ahmad, Ibrahim Nafie, Abdel-Wahab Metawie, Kamal Al-Mallakh, Ahmad Bahgat, Salama Ahmad Salama, Salah Jahine, Ali Hamdi Al-Gammal, Ezzat Al-Saadani, Lotfi Al-Kholi, Fahmi Howeidi, Farouq Goweida, Sanaa Al-Bissi, Mohamed Salmawy, entre autres.

Mais l’affection avec laquelle Moustapha Sami parle de ses collègues ne l’a pas conduit à embellir leur image aux dépens de la vérité. Ainsi, il a noté le positif et le négatif, parce que c’est bien les zones d’ombre et les couleurs sombres qui confèrent au portrait sa troisième dimension, sans quoi il serait plat et sans profondeur. D’après le peintre français Gustave Moreau, il est impossible pour l’artiste de peindre le portrait de quelqu’un qu’il n’aime pas. Or, Moustapha Sami a aimé tous ses collègues, même ceux qui lui ont adressé des coups, il en a parlé non pour prendre sa revanche mais simplement pour raconter une histoire.

A chercher dans ce livre, le lecteur ne trouvera pas une trace de haine ou d’aversion. C’est que Moustapha Sami ne connaît pas de tels sentiments, et il a beau prétendre être objectif, il tend toujours à sympathiser avec ses sujets et à amener le lecteur à les aimer.

Vous remarquerez peut-être que le nom de Heikal ne figure pas parmi les personnages que j’ai cités. En fait, dans la galerie de portraits que Moustapha Sami a dépeints, Heikal est le grand absent. Cela dit, sa présence se fait sentir dans chacune des pages du livre. Il fut le commandant du bataillon qui créa la gloire d’Al-Ahram et qui a réussi à projeter ses journalistes vers le XXIe siècle grâce à sa vision perspicace et futuriste. C’est lui qui a fait du déménagement d’Al-Ahram à la rue Galaa une transmutation de la presse égyptienne et arabe. Sous sa houlette, Al-Ahram est devenu l’un des dix journaux les plus importants au monde, comme en témoignent plusieurs centres de recherche internationaux. Mais ceci n’a pas empêché l’auteur de souligner quelques aspects négatifs dans la personnalité de Heikal, tout comme Ibrahim Nafie et leurs successeurs à la tête d’Al-Ahram.

Avec toute la richesse des figures présentées dans Al-Ahram du XXIe siècle, le plus grand cadeau de l’auteur reste l’esprit d’amour avec lequel il a écrit son livre. C’était l’esprit qui régnait autrefois parmi les employés d’Al-Ahram et qui fait défaut dans les salles de rédaction aujourd’hui.

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