Une certaine confusion règne sur la date du départ des troupes américaines du nord de la Syrie. Alors que le président Donald Trump avait indiqué au moment de l’annonce surprise du retrait, le 19 décembre, que les quelque 2000 militaires américains se retireraient « immédiatement », la Maison Blanche a par la suite précisé qu’aucun calendrier n’a été établi. Les responsables du Pentagone ont de leur côté annoncé que le repli des forces spéciales américaines se ferait dans les quatre mois. Cette confusion traduit l’opposition interne à la décision du président américain, qui a provoqué la démission du secrétaire à la Défense, Jim Mattis. Les alliés des Etats-Unis, dont Israël, le Royaume-Uni et la France, ont également protesté contre cette volte-face, car elle créerait un vide qui serait rempli par la Russie, la Turquie et l’Iran, au détriment des intérêts du camp occidental et de Tel-Aviv.

Photo: AP
Ces protestations n’ont pas eu raison de la détermination du locataire de la Maison Blanche de procéder au départ des troupes américaines, conformément à une vision qui défend le désengagement des Etats-Unis du monde arabe et du Moyen-Orient en général. Les responsables du Pentagone ont confirmé que le retrait du matériel militaire du nord de la Syrie a commencé le 11 janvier.
Depuis la fin de la Guerre Froide dans la seconde moitié des années 1980, le monde arabe est toujours resté en tête des priorités de la politique étrangère américaine, maintenues par la première guerre du Golfe de 1990-1991, la guerre globale contre le terrorisme islamiste à partir de 2001, l’invasion américaine de l’Iraq en 2003, les révoltes populaires arabes à partir de 2011 et la lutte contre Daech à partir de 2014. La volonté actuelle de se désengager de la région s’explique par plusieurs facteurs, en tête desquels la fatigue de la guerre après des années de combats meurtriers en Iraq et la conviction que les interventions militaires américaines dans la région n’ont pas servi à suffisamment faire avancer les intérêts des Etats-Unis. La Maison Blanche estime que le bilan des interventions militaires américaines dans le monde arabe était au mieux mitigé, que leurs bénéfices concrets sont bien inférieurs à l’ampleur des efforts consentis et qu’à la lumière de l’analyse coûts-gains, les retombées pour les Etats-Unis sont bien limitées, au moment même où Washington a reformulé ses priorités étrangères en direction de l’Asie du sud-est, locomotive de la croissance mondiale, et de la Chine en particulier.
Outre ce facteur conjoncturel, des changements à long terme ont éloigné la région du centre des préoccupations américaines. Il y a d’abord la diminution de la dépendance énergétique des Etats-Unis vis-à-vis du monde arabe en raison de l’augmentation de leur production de pétrole de schiste. Du coup, la protection américaine des approvisionnements énergétiques en provenance de la région du Golfe devient moins nécessaire. Washington considère également qu’Israël, son allié principal et protégé dans la région, est doté actuellement, grâce à l’aide américaine, de l’armée la plus efficace du Moyen-Orient et d’une économie forte, alors que les ennemis de l’Etat hébreu, qui se trouvent dans son voisinage immédiat, sont dans un état de faiblesse ou de déliquescence en raison des récentes évolutions dans le monde arabe. La Maison Blanche juge en conséquence que la protection de la sécurité d’Israël, un engagement américain de longue date, n’a pas besoin d’une intervention militaire de Washington.
Une vision quasi identique du monde arabe a façonné l’approche de l’Administration de l’ancien président Barack Obama. Malgré des différences radicales dans leur discours et leur style, les deux Administrations ont principalement considéré le monde arabe et le Moyen-Orient en général comme une source de nuisance et de conflits qui usait les ressources américaines et les détournait d’autres priorités. C’est pour inverser cette tendance que les deux présidents ont appelé les puissances régionales à jouer un rôle plus important dans la protection de la région. Il n’était donc pas fortuit que les critiques américaines ont comparé la décision de Trump de retirer les forces spéciales du nord syrien à celle du président Obama de ramener les troupes américaines d’Iraq après avoir jugé que leur mission dans ce pays n’était plus essentielle. L’ancien président, à l’instar de son successeur, était aussi réticent à s’impliquer dans un nouveau conflit dans le monde arabe après avoir axé sa campagne électorale, en matière de politique étrangère, sur le retrait d’Iraq et d’Afghanistan. Mais il a été amené à envoyer des forces spéciales d’environ 2000 hommes en Syrie en 2015 pour combattre Daech, qui avait occupé de larges portions du territoire de ce pays. Mais ni Obama ni Trump n’étaient disposés à utiliser la puissance militaire américaine pour aider à mettre fin à la crise humanitaire en Syrie ou pour contrer l’extension de l’influence de la Russie et de l’Iran.
La vision de Trump visant à accélérer et rendre effectif le désengagement américain de la région entre cependant en contradiction avec les objectifs affichés de son Administration. Au cours des deux dernières années, l’Administration Trump a défini un ensemble d’objectifs en Syrie: vaincre Daech, protéger les forces kurdes alliées et forcer l’Iran et son allié le Hezbollah libanais à quitter le territoire syrien. De hauts responsables de l’Administration, y compris le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, ont assuré que les militaires américains en Syrie resteraient jusqu’à ce que ces objectifs soient atteints. Mais l’annonce surprise par Trump du retrait des troupes américaines a immédiatement compromis la politique de sa propre Administration, à commencer par l’éradication de Daech. Alors que Trump a justifié sa décision en affirmant que l’organisation terroriste a été défaite, le Pentagone a insisté par la suite que Daech continue à détenir une puissance de combat dans l’est syrien. L’assertion de Trump a été également démentie par l’attentat meurtrier du 16janvier, revendiqué par Daech. Quatre Américains, deux militaires et deux civils ont été tués dans cet attentat-suicide à Manbij, au nord de la Syrie. Il s’agit de l’attentat le plus meurtrier pour les troupes américaines depuis leur arrivée en Syrie. Auparavant, deux militaires avaient été tués au combat.
Contrairement à l’avis de ses conseillers, le président Trump a adopté une position isolationniste sur la puissance militaire de son pays: il a considérablement augmenté le budget militaire afin de creuser l’avance de son armée sur toutes les autres puissances mondiales, mais s’abstient de la déployer dans les points chauds de la planète. Pour les responsables du Pentagone et des agences de renseignement américains, Trump reste sourd aux leçons apprises après les attentats du 11 septembre 2001 indiquant que les forces déployées à l’étranger sont essentielles pour affaiblir, défaire et arrêter les terroristes avant qu’ils n’atteignent le territoire américain et pour maintenir le réseau d’alliances tissées à travers le monde afin de maintenir l’hégémonie américaine.
Lien court: