Après presque deux ans d’inattention et de négligence, l’Administration de Donald Trump a révélé sa politique en Afrique. Le conseiller présidentiel à la sécurité nationale, John Bolton, a formulé le 13 décembre la stratégie africaine de son pays, lors d’une allocution à la Heritage Foundation, un thinktank conservateur proche du Parti républicain.
Cette stratégie repose sur quatre piliers : la promotion des intérêts économiques américains en Afrique, la lutte contre le « terrorisme islamique radical et les conflits violents » et la maximisation des bénéfices de l’aide des Etats-Unis. Le quatrième pilier, qui a dominé le discours de Bolton, est la détermination des Etats-Unis à réduire l’influence de la Chine, mais aussi de la Russie, en Afrique, dans le cadre de la nouvelle guerre froide qui oppose ces trois puissances mondiales. Alors que la dimension idéologique, libéralisme versus communisme, a dominé la première Guerre Froide qui s’est installée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945 et jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique en décembre 1991, la guerre froide II, engagée depuis les années 2000, est plus classique, axée sur la prépondérance économique, l’influence politique et la suprématie militaire, à l’instar de la rivalité entre puissances européennes qui a prévalu avant la Seconde Guerre mondiale, à l’époque coloniale.
Dans ce cadre, les Etats-Unis placent à nouveau l’Afrique, comme lors de la première Guerre Froide, dans la position de théâtre de cette rivalité retrouvée avec la Chine et la Russie. Bolton n’a d’ailleurs pas ménagé ces dernières, les accusant de tous les maux en Afrique : corruption, accords économiques opaques et « utilisation stratégique de la dette » pour conquérir et assujettir l’Afrique. Ces « actions prédatrices » sont, selon Bolton, des composantes d’initiatives stratégiques plus vastes, y compris celle lancée par la Chine sous le nom « Une ceinture, une route », et visant à construire et développer une série de routes commerciales liant la Chine à l’Europe, via l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Est. Pour les Etats- Unis, ce méga-projet n’est qu’un moyen de dominer le monde. Mais contrairement au point de vue américain, le projet « Une ceinture, une route » est une initiative d’investissement dans des domaines aussi variés que les infrastructures, l’éducation, la construction, les routes et voies ferrées, l’industrie automobile, l’immobilier et l’énergie. Il couvre plus de 68 pays en Asie, en Europe, en Océanie et en Afrique. Estimée à une valeur allant de 4 000 à 8 000 milliards de dollars, cette entreprise, si elle aboutit, profitera à quelque 65 % de la population mondiale.
La politique exposée par Bolton est en parfaite ligne avec la stratégie américaine de défense nationale présentée par le secrétaire à la Défense démissionnaire, Jim Mattis, en janvier dernier. Tout en déclarant que les Etats-Unis continueront à poursuivre leur campagne contre « les terroristes », Mattis avait souligné que la concurrence avec les grandes puissances, et non le terrorisme, est l’objectif principal de la sécurité nationale des Etats- Unis, rappelant le contexte de la guerre froide. Dans la même veine, Bolton a précisé que la plus grande menace en Afrique ne vient pas de la pauvreté ou de l’extrémisme islamiste, mais d’une Chine expansionniste et de la Russie. « Ils ont délibérément et agressivement cibléleurs investissements dans la région pour obtenir un avantage concurrentiel sur les Etats-Unis », a-t-il souligné.
Les nouvelles priorités américaines en Afrique constituent donc des mesures de contre-attaque à l’égard de la montée en puissance de la Chine et de la Russie. Elles traduisent l’inquiétude des Etats- Unis face à la diminution de leur prépondérance politique, économique et militaire dont ils jouissaient en Afrique, mais aussi dans le reste du monde, depuis la chute du mur de Berlin en novembre 1989.
Tout en reconnaissant qu’ils ne pourront pas concurrencer les dizaines de milliards de dollars que la Chine verse en Afrique, les Etats-Unis s’emploient à trouver des « solutions de rechange », selon les termes de Bolton, aux grands projets de travaux publics et d’infrastructure exécutés par la Chine. A titre d’exemple, le géant américain de la construction, Bechtel, soutenu par Washington, entend construire une autoroute liant la capitale kényane, Nairobi, au port de Mombasa sur l’océan Indien. Le projet, d’une valeur de 3 milliards de dollars, devrait être inauguré en 2024. Son objectif principal est de concurrencer, sinon faire de l’ombre à la ligne de chemin de fer entre les deux mêmes principales villes du pays, financée et construite par la Chine en 2017. D’une valeur de 3,6 milliards de dollars, cette voie ferrée a été mise en service le 31 mai 2017.
Motivé par le désir de faire face à l’influence économique croissante de la Chine, Donald Trump a signé en octobre dernier un projet de loi doublant les fonds d'Overseas Private Investment Corporation, qui finance les projets américains dans les pays en développement. La loi fait ainsi porter le capital de cette institution à 60 milliards de dollars qui seront alloués sous forme de prêts et d’assurancescrédits. Le regain d’intérêt américain pour l’Afrique intervient après une période d’indifférence, sauf s’il s’agit de combattre le terrorisme islamiste. En Somalie par exemple, l’Administration américaine a mené au cours de la première année du pouvoir de Trump des frappes aériennes sur des cibles appartenant au groupe des Shebab presque égales au nombre total d’attaques aériennes lancées durant les huit années de mandat de Barack Obama. Ce dernier avait pourtant organisé le premier sommet afro-américain qui s’est tenu à Washington du 4 au 6 août 2014. Commerce, investissement et sécurité du continent étaient au menu de cette première rencontre qui a réuni les dirigeants de cinquante Etats africains. L’Administration Trump n’a pas jugé utile de poursuivre sur ce chemin et tenir un deuxième sommet, préférant focaliser sur une cible bien précise : l’antiterrorisme.
Depuis l’accession au pouvoir de Trump en janvier 2017, les Etats- Unis ont pris leurs distances visà- vis de l’Afrique, et de plusieurs autres régions du globe, en application du slogan présidentiel « l’Amérique d’abord ». Ainsi, Washington a procédé à des réductions de l’aide étrangère et des déploiements militaires, dans l’objectif de limiter ses engagements et ses dépenses à l’étranger. Mais l’Administration Trump a finalement découvert que le maintien de la puissance des Etats-Unis et de son hégémonie dans le monde, source de prospérité économique interne, nécessitait une présence accrue là où leurs intérêts et leur influence sont menacés par de puissants concurrents qui risquent de leur ravir la vedette.
Même si l’objectif des Etats- Unis est de contrer ses concurrents, sans plus, le retour de la rivalité internationale autour de l’Afrique, comme au temps de la première Guerre Froide, offre aux pays du continent des opportunités de promotion de leur développement, à condition de bien fixer leurs priorités et de savoir jouer de cette compétition retrouvée pour atteindre leurs objectifs.
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