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L’ère post-vérité

Lundi, 31 décembre 2018

L'écrivain Mohamed Salmawy s'interroge sur l'ère post-vérité où, selon lui, le dernier mot n'appartient pas à celui qui dit la vérité.

Vivons-nous dans l’ère post-vérité, cette ère où le dernier mot n’appartient pas à celui qui dit la vérité, mais à celui qui sait diffuser ses propos le plus largement possible, et où la réalité virtuelle est plus puissante que la réalité réelle? C’est ce que pensent certains.

Si tel est le cas, le président améri­cain Donald Trump serait l’incarna­tion même de cette vérité, et je m’ex­cuse d’utiliser le terme « vérité » dans ce contexte, mais je ne lui trouve pas d’équivalent.

Depuis son élection, le président Trump n’a eu de cesse d’attaquer les médias (qui ne lui étaient pas favo­rables durant sa campagne électo­rale), en qualifiant de « fake news » les informations qu’ils présentent à l’opinion publique, par opposition à la vérité que lui seul offre. Ceci a poussé certains journalistes d’éplu­cher les déclarations du président pour recenser ses propres mensonges.

Mais il paraît que de nos jours, la vérité en soi n’a aucun poids. Et pas seulement de nos jours d’ailleurs. La ville d’Athènes a connu ce philo­sophe qui parcourait les rues en plein jour une lanterne à la main déclarant être en quête de la vérité. On ne sait pas s’il l’a trouvée, et si oui, dans quel état.

Et si les déclarations de Trump sont largement diffusées et très bien accueillies, ce n’est pas uniquement parce qu’elles proviennent du prési­dent de la première superpuissance mondiale, mais aussi parce qu’il a choisi d’uti­liser les réseaux sociaux, précisément Twitter, pour publier ses opi­nions, profitant de l’in­fluence et de la large diffusion des nouveaux médias. Grâce à ses tweets de quelques mots, Trump fait parvenir aux gens la vérité face aux mensonges du New York Times, du Washington Post et des autres médias.

L’ère post-vérité
(Photo:AFP)

Si l’on parle de notre région, et plus particulièrement de la cause palestinienne, on trouvera cer­taines vérités selon lesquelles les Palestiniens ont été chassés de leurs terres, leurs biens ont été confisqués, leurs enfants sont devenus des réfu­giés dispersés dans les quatre coins du monde, alors que les colons venus d’un peu partout persé­cutent aujourd’hui les Palestiniens qui sont res­tés chez eux et cherchent à les exterminer par tous les moyens. Ce sont les vérités que nous les Arabes connaissons, mais est-ce la vérité de tout le monde? Est-ce la vérité qui émane des faits historiques qui se sont succédé sur notre région depuis la Nakba de 1948 et jusqu’à ce jour? Si vous demandez à un citoyen européen ce qu’il pense du conflit israélo-arabe, il vous dira que les juifs veulent vivre en paix à l’intérieur de leur petit pays, mais que les Arabes veulent les détruire. Et si vous lui demandez plus précisément ce qu’il pense du conflit israélo-palestinien, il vous dira que les terroristes palestiniens du Hamas tirent des roquettes sur Israël depuis Gaza toutes les fois qu’ils le peuvent. Et si vous lui demandez à propos des massacres commis systématiquement par Israël à l’encontre des Palestiniens désarmés à Gaza, il vous dira qu’il s’agit de légitime défense. Dans ce discours, la question de l’occupation est perdue, tout comme la légitimité internationale, les résolutions de l’Onu et le droit des Palestiniens à la lutte pour la libération et l’indépen­dance au même titre que les autres peuples. En résumé, c’est la vérité qui se perd. Mais la vérité n’a pas d’importance, elle appartient à des ères révolues et dépassées, aujourd’hui, nous vivons dans l’ère post-vérité.

Cette magie risque-t-elle de se retourner contre le magicien? En d’autres termes, ceux qui détiennent la vérité et qui y croient toujours, peuvent-ils utiliser les mêmes moyens modernes pour la diffuser aussi largement que les mensonges ?

C’est peut-être cette possibilité qui a amené les ennemis de la vérité à essayer de contrôler les moyens de communication de masse de manière à empêcher la vérité d’atteindre l’opinion publique et laisser le der­nier mot au mensonge. Or, aujourd’hui, les réseaux sociaux ont mis fin au monopole des médias et permis à tout un cha­cun de communi­quer avec l’opinion publique. Donald Trump l’aura bien compris, il peut atta­quer les médias, voire les boycotter, tout en ayant accès à l’opinion publique. Même si la véri­té se perd entre les deux puisqu’elle n’est trouvable ni dans les men­songes de Trump sur Twitter, ni dans les chroniques de la presse. C’est que le conflit entre les deux ne porte pas sur qui détient la vérité, mais plutôt sur qui a le pouvoir de diffuser le plus efficacement son point de vue.

Je me demande si dans le monde arabe, malgré notre aversion envers Donald Trump, nous pouvons nous inspirer de son expérience avec les « fake news » pour contourner le mur de mensonges qui entourent notre cause depuis la sinistre pro­messe de Balfour, il y a près d’un siècle, et diffuser la vérité qu’on connaît à travers les moyens de notre ère, l’ère post-vérité .

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