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Gilets jaunes, enjeu économique ou politique ?

Dimanche, 16 décembre 2018

J’écris depuis paris, la capitale des lumières, qui traverse, ainsi que toute la société française, l’une des plus graves crises de ces dernières décennies. Les événe­ments dont Paris a témoigné ces quatre der­nières semaines dépassent en importance la révolution étudiante de 1968, dans la mesure où ils ont montré les doléances des catégories oubliées de la société et révélé la fragilité du système démocratique français.

Les manifestations des Gilets jaunes ont amené la société française à un examen de conscience, qui débouchera sans doute sur un changement des règles du jeu aux niveaux social et économique, mais aussi politique.

Gilets jaunes, enjeu économique ou politique  ?
(Photo:AFP)

Les Gilets jaunes ont violemment secoué la France. Au début, le président français a essayé de les ignorer, puis de minimiser leur poids, avant de se trouver obligé de réagir en répondant à leurs demandes économiques. Le recours des manifestants à la violence et au sabotage a obligé l’Etat à les affronter non seulement avec les forces de l’ordre, mais aussi en prenant au sérieux leurs demandes, surtout que ces manifestations ont révélé une injustice sociale qu’il n’était plus possible d’ignorer, et ont mis à jour la sclérose poli­tique qui gangrène la démocratie française, une démocratie que beaucoup de Français en dehors de Paris jugent peu représentative et peu soucieuse de leurs problèmes.

Les dégâts matériels provoqués par les récents événements sont estimés à un milliard d’euros. Une part infime de ces dégâts est due au pillage et à la casse de boutiques comme Christian Dior et Calvin Klein, ainsi que de plusieurs banques, Rue des Champs Elysées. C’est plutôt le timing de ces événements, intervenus en pleine saison commerciale de Noël et du Nouvel An, qui a décuplé les pertes. En effet, 60% des ventes de certains commerces sont réalisées au mois de décembre.

L’activité commerciale a donc reçu un coup dur, et beaucoup se sont abstenus de faire les magasins et ont opté pour l’achat en ligne. J’ai vu les grandes boutiques des Champs Elysées avec les vitrines couvertes de planches de bois, alors qu’en temps ordinaire, ces mêmes vitrines sont ornées de décorations avant Noël. Mais cela n’a pas empêché les casseurs d’arra­cher ces planches et de les utiliser comme combustible pour faire du feu dans la rue.

Vendredi, j’ai vu que la façade de la bou­tique Louis Vuitton, détruite quelques jours auparavant, avait été couverte de filets métal­liques en prévision des manifestations du len­demain. Par ailleurs, la direction de l’hôtel où je suis descendu, et qui est situé sur les Champs Elysées, a envoyé une note à chacun des clients pour les rassurer au sujet des mesures prises pour leur protection, tout en leur demandant d’être prudents et de respecter les règles de sécurité.

A l’échelle sociale, ces manifestations ont révélé l’injustice que ressentent les Français qui vivent dans la précarité. En effet, certaines zones rurales souffrent d’une injustice accrue, une situation qui se fit pour la première fois sentir lors de la révolte des quartiers en 2005, mais qui n’a pas été corrigée. Aujourd’hui, les victimes de ces injustices se sont ralliées aux Gilets jaunes.

Les Gilets jaunes ont commencé à manifes­ter il y a quatre semaines à cause de la hausse du prix des carburants annoncée par le gou­vernement, mais au fil des jours, d’autres couches sociales se sont ralliées à eux à cause de l’injustice ressentie.

Cependant, l’aspect le plus dangereux se situe au niveau politique: les Gilets jaunes ont montré les limites du système démocratique français qui n’est plus en mesure de répondre aux besoins de certaines couches sociales et de certaines communautés en dehors de Paris. Les députés parlementaires de ces circonscrip­tions ont exprimé leur solidarité avec les manifestants, une démarche qui montre une fois de plus la défaillance du système poli­tique français.

Tous ces facteurs ont fait sortir les manifes­tations des Gilets jaunes du cadre économique pour se transformer graduellement en protes­tation sociale nécessitant des mesures rapides aux niveaux économique, social et politique. C’est sans doute cette évolution qui a obligé le président Macron à reconnaître le mécontente­ment populaire et à y répondre par une série de décisions allant d’une hausse du SMIC et jusqu’à l’annulation de cotisations et d’im­pôts. Des mesures qui représenteront un coût considérable pour l’Etat, mais qui ont l’avan­tage d’alléger le sentiment d’injustice éprouvé par beaucoup de Français.

Mais le président s’est limité aux aspects économiques et sociaux, sans s’attaquer aux aspects politiques de la crise. Ainsi, le prési­dent français n’a pas fait de propositions sus­ceptibles de rendre le système démocratique français plus sensible aux besoins de nom­breuses communautés vivant en dehors de la capitale, une capitale considérée comme un parasite qui s’enrichit aux dépens des plus démunis.

Si Macron ne parvient pas à gérer le côté politique de la crise, les manifestations ne se calmeront que pour recommencer. Tout comme la révolte des quartiers en 2005 qu’on croyait terminée.

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